Or donc, François Hollande renonce à sa propre succession.
PAR PIERRE ROTTET
Laquelle eût été possible, je te l’assure! En cas d’élection tacite. Ou d’un décret qui aurait miraculeusement octroyé cette possibilité en désignant M. Hollande unique candidat des Français, de tous les Français, à condition qu’il franchisse le rubicon de la barre des 5%. Une condition loin d’être acquise.
Or donc j’étais derrière ma télé quand je l’ai entendu faire part de sa décision à la France. Avec ce ton monocorde qui lui est propre. Cette voix qui ressemble fort à toutes les monotonies, toutes les misères du monde, plus pour quémander la pitié qu’une approbation. Bref, une voix qui lui a fait perdre ses voies les unes après les autres, à mesure qu’il annonçait ses orientations politiques, qui fossoyaient peu à peu et à coup sûr le «socialisme» et les promesses du candidat Hollande. Passé de normal à anormal!
Alors je l’ai écouté pleurnicher, faire son bilan qu’il est le seul – ou presque – à défendre. Normal par les temps anormaux que la France vit! Je l’ai écouté, donc, pour me convaincre une fois de plus que ce chef de guerre se moquait du monde, tout comme le cynique Sarko avant lui.
Je le cite: «comme socialiste, parce que c’est l’engagement de toute ma vie, je ne peux accepter, je ne peux me résoudre même à la dispersion de la gauche, à son éclatement, parce qu’elle priverait de tout espoir de l’emporter face au conservatisme et pire encore, face à l’extrémisme…»
Non mais! Je n’en croyais pas mes yeux. Pardon, mes oreilles. Voilà l’homme qui, avec son équipe, a été le chef d’orchestre des trompettes de la renommée d’une marche funèbre qui, pendant quatre ans, a accompagné les obsèques du socialisme, comme Mitterrand le fut à la baguette de son gouvernement pour enterrer le communisme; voilà l’homme, disais-je, qui s’en vient, les yeux dans les yeux, dire qu’il ne peut pas se résoudre à la dispersion de la gauche… A se demander s’il est aussi proche des réalités des personnes qui le portèrent au pouvoir que moi de Fillon. Ou de la Le Pen. Pour lesquels, pourtant, il a creusé le sillon…
Faut quand même afficher une sacrée dose d’inconscience pour oser tenir un tel discours. Ce qui m’étonne aussi, c’est que cette tartine puisse passer dans la presse, je veux dire dans les médias français, notamment, sans même faire l’objet de la moindre ironie. Et si tu partages mon point de vue, tu conviendras que sa tirade offrait matière à railleries. Mais non, rien du tout. Personne! Il ne s’est trouvé personne pour relever pareille ineptie.
Tonnerre de Brest! Voilà un bonhomme, aussi président soit-il, aussi faussement de gauche, qui a divisé cette même gauche, l’a morcelée au point de la rendre irréconciliable comme jamais auparavant, de mémoire qui est la mienne. Voilà quelqu’un qui ose dire qu’il ne peut se résoudre à la dispersion de la gauche, à son éclatement… Marrant comme les médias ont la faculté de prendre la tangente. Lorsqu’ils en ont envie.
N’attends pas de moi que j’énumère ici les échecs, les erreurs, les reculades, les faits de guerre de l’homme Hollande. N’attends pas non plus que je te parle de ses incompétences, largement cautionnées par les médias. Comment affirmer que le contenu de son intervention télévisée annonçant sa renonciation était, je cite, «une bombe», «un séisme politique». Cela, pour une décision sans surprise, aussi prévisible que la déroute de la gauche aux présidentielles de mai 2017. Arriver à transformer un non événement en événement… certes la presse s’y entend. Tout comme elle s’y entend à nous prendre pour des ignares, des jobards…
L’intelligence, vois-tu, n’a jamais empêché quiconque de se brouter. Mais il arrive quand même qu’elle rende lucide. Ce qui me fait dire, affirmer, dirais-je, que la décision de Hollande, à savoir celle de ne pas briguer un ticket de présidentiable dans le cadre des primaires de la «gauche» était prise depuis un moment. Le contraire eût été surprenant de la part de ce bonhomme qui s’est certes trompé, fourvoyé tout au long de sa présidence, mais qui, comme n’importe quel citoyen, possédait le baromètre d’un camp politique qui ne voulait plus de lui.
Calculateur, Hollande, comme la plupart des politiciens français, de gauche comme de droite, sortis tout droit des hautes écoles sans avoir jamais «fabriqué» ne serait-ce qu’un pain au chocolat, et donc dans l’impossibilité d’en évaluer le prix? Sans jamais avoir mis les pieds dans une usine autrement qu’en période électorale?
J’y reviens: fidèles à leur habitude, les «observateurs» du quotidien de la vie des Français n’ont rien vu venir. Comme ils n’ont pas vu venir Trump et encore moins Fillon. A mes yeux, oser titrer, écrire, au lendemain de la décision présidentielle, qu’il s’agissait-là d’une surprise relève soit de la plus crasse des ignorances, soit de la plus accommodante des duplicités.
Comment, je te le demande, peut-on parler de surprise, face à ce qui, depuis des mois, relevait de l’inéluctable. J’ai même lu dans un canard parigot le déroulement du «drame» qui se jouait à l’Elysée, minute par minute, tu sais, à la manière de ces drames que l’on diffuse en boucle, histoire d’attacher le lecteur ou le téléspectateur au morbide; j’ai même lu, disais-je, le cheminement de ce mélodrame: 16h30… SMS de… à… Et ainsi jusqu’à l’aveu d’échec prononcé par Hollande en direct à la télé. Comme si les Français pouvaient encore se passionner pour un cirque dont ils sont las depuis longtemps. Eux qui depuis belle lurette, bien avant les scribes de la République, devinaient déjà que le locataire de l’Elysée ne serait pas au rendez-vous des primaires en janvier. Et encore moins à celui du mois de mai. Et dire que la presse s’étonne de la perte d’audience, du zapping à l’heure des infos!
Cher Monsieur Rottet,
Comment pouvez-vous vous exciter autant à l’occasion d’un non-évènement (décision de François Hollande) ? Je vous ai lu jusqu’au bout, et je le regrette.
Bertrand Baumann
(Un lecteur de La Méduse qui a renoncé à la télé et à la radio, qui ne lit plus aucun journal que “Vigousse” tous les vendredis, et qui souhaite que La Méduse sorte un peu des sentiers battus.)