Pure fiction, comme l’indique sa préface, ou récit autobiographique? Journaliste fribourgeoise, Nadine Crausaz, laisse planer le mystère. Une chose est sûre, l’auteure du roman “Che Guevara – Les derniers secrets” a roulé sa bosse en Amérique latine. Et c’est bien sur le fantôme du Che que son héroïne, une reporter au long cours, braque son objectif. Réelle ou inventée, la trame du livre ne manque pas de panache. Disparu en 1967, Che Guevara a eu deux jumeaux qui seront séparés à la naissance avant de se retrouver sur la terre qui fit la célébrité du révolutionnaire argentin, Cuba. Ils donneront ses derniers cauchemars à Fidel en le confrontant au spectre de celui que le leader maximo sacrifia sur l’autel de la raison d’Etat. Le passage que nous publions relate le moment où les jumeaux confrontent leur vision du «paradis» cubain. C.
Juan portait en lui la douleur tenace de la trahison vécue par son père, homme de bravoure. Depuis sa rencontre avec Clorinda, il avait beaucoup idéalisé le Che. Son passage dans le massif montagneux de la Sierra Maestra qui avait abrité le berceau de la révolution l’avait complètement transfiguré. Juan s’identifiait à ce père.
– J’ai l’intime conviction que Castro a livré le Che à la CIA, non pas dans le but d’empêcher le brasier révolutionnaire de s’étendre au continent mais parce qu’il ne supportait pas qu’il puisse lui faire de l’ombre, d’altérer son aura. Comme le confirme le journal inédit que nous avons en notre possession, Fidel a joué de la crédulité du Che et de son idéal social. Il s’est bien foutu de sa gueule.
– Mais Fidel a sorti le peuple de l’illettrisme et personne ne mendie dans la rue ou ne crève de faim ici. Tu es de très mauvaise foi. Ici, en cas de cyclone, la solidarité sauve des vies. Fidel n’a jamais laissé tomber les artisans de la victoire. Il a fait construire des milliers de logements pour les militaires. Les Etats-Unis ne peuvent pas en dire autant avec les vétérans du Vietnam ou du Golfe. Nous n’avons de leçons à recevoir de personne.
Juan ne se laissa pas berner par le discours de son alter ego.
– Tu faisais déjà partie de l’élite de la société alors que tes compatriotes avaient droit au carnet de rationnement. Est-ce que Tio Fidel avait aussi le sien ? Tu es bien placé pour nous dire dans quel luxe il se vautre alors que son peuple est à l’agonie ? Tu sais toi-même que le système qui repose sur la gratuité des soins ne veut plus rien dire. Il n’y a pas de médicaments pour soigner les maladies les plus communes. Un Cubain doit prendre ses propres draps et son papier hygiénique quand il entre à l’hôpital. Et la prostitution ?
Max et Clorinda étaient médusés, les jumeaux se livraient à joute oratoire en règle. Les fréquentations de Juan dans la Sierra Maestra avaient déclenché un processus qui échappait à Clorinda. Cette rhétorique ne lui était pas coutumière. Il était comme possédé.
Mais Luis n’était pas à court d’arguments, loin de là. Mais il était tellement stupéfait par la présence de son double, en face de lui, comme s’il s’observait dans un miroir, de ce jumeau qui se fendait d’un discours aux antipodes de sa pensée. Il était sonné KO debout ! Deux descendants du Che si différents ?
L’un complètement imprégné de la fibre paternelle et l’autre annexé par le dictateur. L’idéologie était plus forte que les liens de sang.
Brusquement, Max se leva.
– Personne n’est blanc ou noir. C’est ainsi. Le Che n’était pas un saint ni Castro son bourreau. Fidel était un peu le père et le Che, le fils prodige. Il était terriblement audacieux. Beaucoup de monde voulait le voir disparaître. Le fait est qu’en tentant d’exporter la révolution dans toute l’Amérique latine, votre père, ce naïf au poing levé, s’est s’englué dans une toile d’araignée dont plusieurs services secrets tiraient les fils.
Max remit l’histoire dans son contexte géopolitique.
– Il est exagéré de prétendre que seul Fidel aurait voulu se défaire de lui. Tout d’abord, la Direction générale du renseignement cubaine, était partie prenante dans cette énigme.
Max poursuivit:
– Le Che était un emmerdeur de première, un empêcheur de tourner en rond. Il avait semé la zizanie avec son discours caustique d’Alger. Les Russes ne pouvaient plus le voir en peinture. Il fallait qu’il parte de Cuba. Et je crois que lui- même le voulait. Au Congo d’abord, où ils vont l’aider à son implantation mais aussi le sortir en catastrophe. Ils ont organisé ensuite son séjour dans l’ambassade cubaine de Prague et son retour à Cuba, dans l’anonymat le plus total bien sûr.
Les deux hommes écoutaient, ébahis :
– A ce moment, Castro était encore intéressé par son destin. Et lui fit encore des promesses au moment où le commando spécial fourbissait ses armes dans un lieu ultra secret dans la province de Pinar del Rio. Cuba a toujours encouragé la formation de groupuscules de guérilla. L’île servait de base d’entraînement dans le cadre du programme PETI, préparation spéciale de troupes irrégulières.
Max ne sut pas trop expliquer ce revirement de la part de Castro à cette époque. Il faisait feu de tout bois. Les partis communistes ont toujours soutenu et manipulé tous les mouvements de rébellion aussi longtemps qu’ils servaient leurs intérêts. Les Cubains n’ont pas vendu le Che mais l’ont abandonné. C’est un fait. Mais Castro, en tous les cas, ne l’a pas fait de gaieté de cœur. Les autres membres du gouvernement, peut-être. Ils en avaient marre de cet Argentin impertinent, agressif, cultivé, qui passait son temps à couper de la canne à sucre dans les champs le dimanche, au lieu de profiter un peu des loisirs et du bien-être de sa nouvelle patrie.
Enrique se mêla lui aussi à la conversation :
– Et rien ne s’est fait au nez et à la barbe du KGB. Les cadres des services cubains étaient régulièrement en stage à Moscou. En pleine guerre froide, rien en ce qui concernait Cuba ne pouvait échapper aux Soviétiques.
(Extrait de «Che Guevara – Les derniers secrets», par Nadine Crausaz, 2017)
Je préfère Castro, Che Guevara, Hugo Chavez, Allende à Trump, Bush, Reagan, Obama.