L’essor du streaming est l’un de ces phénomènes de fond qui change les manières de vivre avec les médias (voir aussi DP 2234).
Il y a fort longtemps, voici une trentaine d’années, autant dire au Moyen-Age, nous pouvions enregistrer des émissions de télévision ou de radio sur des bandes magnétiques, puis sur des CD, des DVD et enfin sur des mémoires intégrées à nos appareils. Le Replay a été l’innovation suivante: la possibilité de revoir une émission de télévision sans l’enregistrer pendant une semaine. Et maintenant le streaming est en train de tout emporter.
Des entreprises, Disney, Netflix, Spotify, pour le prix d’un abonnement modique, autour d’une vingtaine de francs par mois, mettent à disposition des quantités énormes d’enregistrements musicaux, des films, des séries, qu’il est possible d’écouter ou de regarder chez soi, sur n’importe quel support, TV, ordinateur, tablette, smartphone.
Toutefois comme l’indique bien le sens du mot anglais, le streaming est un courant, une diffusion: on ne peut l’enregistrer. Il est possible d’écouter ou de regarder une œuvre autant de fois qu’on le souhaite pendant la durée de l’abonnement, mais on ne peut la conserver chez soi. Au grand soulagement des artistes, le streaming a tué le piratage et a permis un retour à une distribution normale des droits d’auteur. Les abonnements ne sont pas chers, l’accès aux œuvres facile, les films ou les séries sont sous-titrés dans toutes les langues, le choix est immense, et la qualité de l’image et du son est excellente. Dans ces conditions le piratage, pendant longtemps l’un des fléaux d’Internet, n’a plus guère de sens.
Le streaming musical n’est pas totalement américain. Un acteur européen au moins joue un rôle majeur, le suédois Spotify, qui vient d’intenter une action en justice contre Apple, détenteur de nombreux droits musicaux à travers son propre système. Apple Music impose un surcoût de 30% aux firmes comme Spotify qui achètent de la musique sur son site.
Si vous n’avez pas très bien saisi, ça n’a pas beaucoup d’importance. L’essentiel est de comprendre que cet univers du numérique est entièrement dépendant des mœurs et du droit des États-Unis. Les conflits s’y règlent à coup de procès, de transactions souterraines et de chantages réciproques, sans compter les accusations d’espionnage qui fleurissent dans le cas du chinois Huawei.
Les enjeux, il est vrai, sont importants. Le marché du streaming est en train de tout envahir dans le monde des loisirs et des médias. En France, il a représenté pour la première fois plus de la moitié des ventes de musique en 2018; le téléchargement, qui était à la pointe du progrès il y a encore 5 ans, s’effondre et les ventes physiques d’albums baissent régulièrement sans que ce soit pour l’instant une chute trop rapide.
En Suisse, le marché est encore peu développé: selon des compilations statistiques, 21% des personnes interrogées ont souscrit un abonnement streaming pour la vidéo et 17% pour la musique, contre plus de 40% aux USA et en Chine et presque autant au Brésil. Il est probable que le pourcentage augmentera rapidement chez nous aussi.
Le développement du streaming n’est pas qu’une affaire d’entreprises lointaines et impersonnelles. Le cas du film Paris est à nous est significatif.
Ce long métrage, dont la vedette est la comédienne suisse Noémie Schmidt, a été réalisé presque sans argent, avec des bouts de ficelle. Une opération de financement participatif a été lancé pour assurer une qualité professionnelle dans le montage, la bande son et ce qu’on appelle la postproduction. Netflix, le grand méchant qui produit des films qu’il refuse de diffuser en salle, a accepté d’installer ce long métrage sur sa plateforme à disposition de ses abonnés et devient ainsi le grand gentil qui met en valeur des œuvres contestataires de jeunes auteurs.
Vous avez toujours de la peine à suivre? Nous aussi. Le monde du numérique reste impénétrable et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’expression des opinions dans nos démocraties.
Jacques Guyaz