PAR MARC SCHINDLER
La Suisse a bien de la chance d’avoir un ministre de la santé comme Alain Berset. Le socialiste de 48 ans est devenu le chauve le plus célèbre du pays. Le sourcil noir, le sourire un peu carnassier, le verbe vif, il incarne le père de la nation au temps du Covid-19. Il rassure les Suisses avec cette formule pour la fin du confinement : « Nous souhaitons agir aussi vite que possible, mais aussi lentement que nécessaire ». La communication en temps de crise, on dirait que Berset est tombé dedans. Pour faire passer son message aux Suisses – ensemble et solidaires – il a lancé à Roger Federer le défi de raconter ce qu’il faisait avec un hashtag. Et le ministre hilare est apparu en T-shirt!
La Suisse découvre que son gouvernement collégial, moqué pour sa lenteur, reste soudé et qu’il sait prendre des décisions. Pas facile dans un pays où les cantons ont la main sur la santé. Ça a un peu grincé quand le Tessin a voulu fermer ses frontières aux travailleurs italiens ou quand Genève a exigé la fermeture des chantiers. Ça a même secoué quand l’UDC, le parti xénophobe proche des patrons, a exigé qu’on relance l’économie, dans un pays où le gouvernement ne s’occupe pas des affaires. Daddy Berset a pris son bâton de pèlerin pour rassembler ses ouailles sous l’autorité fédérale. Il la joue modeste : « On fait face à un nouveau virus, on en apprend tous les jours et il faut beaucoup de modestie pour prendre les bonnes mesures ». Il a à ses côtés un haut fonctionnaire spécialiste des virus, Daniel Koch, au physique d’ascète, à la parole rare, qui explique que « le problème est loin d’être résolu… on manque de données sur les personnes guéries ». Une des règles de base de la communication : quand on ne sait pas, on le dit!
Les conférences de presse du Conseil fédéral n’ont rien d’un show télévisé. Dans une salle de presse dépouillée, trois membres du gouvernement exposent la stratégie gouvernementale : la présidente, l’omniprésent Berset et, à tour de rôle, les ministres de l’économie et de la défense. Et puis une brève interview en plusieurs langues à la presse, à la radio et à la TV. Il y a longtemps que le gouvernement suisse a mis au point une stratégie de communication : dans un Etat fédéral, pour imposer le même régime à tous, il faut impliquer les cantons, les partis politiques, les syndicats et le patronat. Certains renâclent, mais la Suisse marche au même pas et les conférences de presse sont suivies par un Suisse sur dix sur YouTube.
On est loin de la déclaration de guerre au virus, proclamée par le président Macron et de ses interminables déclarations télévisées. Rien à voir non plus avec les consternantes prises de position quotidiennes du directeur général de la santé, qui aligne comme des perles les chiffres des hospitalisations et des morts. Sans inscrire ces données sur l’écran, mais avec un interprète en langue des signes. Vous retenez quelque chose de cette avalanche de chiffres, vous ? Sans parler de l’indigeste conférence du premier ministre et de son ministre de la santé, 150 minutes de justifications égayées de quelques tableaux illisibles. Il n’y a vraiment personne au gouvernement français pour expliquer aux ministres que l’important, dans la communication, ce n’est pas ce que vous dites, mais ce que je comprends ? Qu’une image vaut mille mots, qu’il existe des techniques graphiques employées par tous les experts pour faire passer le message ? Non, la France est le pays du verbe. L’important, c’est la déclaration solennelle du président : « Notre nation se tient debout, solidaire ». C’est la promesse du premier ministre qu’on s’occupe du problème : les masques, on les a commandés! Les respirateurs, c’est comme si c’était fait! Le déconfinement, on y travaille!
Etonnez-vous après ça que 35% seulement des Français fassent confiance au gouvernement, alors que 60% des Allemands soutiennent leur chancelière et 64% des Britanniques, leur premier ministre. Emmanuel Macron aurait peut-être dû relire le regretté Frédéric Dard, pourtant un champion du verbe : « Parler est le plus moche moyen de communication. L’homme ne s’explique pleinement que par ses silences ».