Vers un partage global des médicaments et des vaccins


PAR JEAN-DANIEL DELLEY

Le conseiller fédéral Alain Berset a comparé la politique sanitaire de lutte contre le Covid-19 à un marathon. Cette image d’endurance colle certes à l’ensemble des mesures de la Confédération, mais c’est plutôt à une course de vitesse à laquelle on assiste actuellement pour mettre au point et produire les traitements, vaccins et autres technologies propres à prévenir, détecter ou traiter le virus et ses effets.

On compte désormais des dizaines de projets de recherche portant sur la prévention autant que sur les soins. Ainsi, Martin Bachmann, immunologue rattaché à l’Inselspital de Berne, a annoncé un vaccin pour octobre prochain déjà. Mais une fois ces produits disponibles, qui en bénéficiera et à quel prix?

L’histoire récente des épidémies justifie la question. A l’occasion de la grippe porcine en 2009, les Etats disposant des ressources financières suffisantes ont stocké de grandes quantités de doses de vaccin, alors que les pays où les populations sont les plus pauvres n’ont pas bénéficié d’une couverture suffisante. En mars de cette année, le gouvernement américain aurait tenté de mettre la main sur un laboratoire allemand très avancé dans la mise au point d’un vaccin contre le Covid-19.

Pour contrer cette politique du chacun pour soi ou du plus offrant le mieux servi, une coalition d’ONGs lance un appel aux Etats membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en appui à une proposition du Costa Rica. Pour la république centre-américaine, tous les moyens médicaux aptes à combattre la pandémie constituent des biens publics et à ce titre doivent être accessibles à tous.

Une mutualisation des données, des droits d’exclusivité et de fabrication par l’intermédiaire de l’OMS pourrait créer les conditions d’une répartition équitable de ces moyens à un prix abordable. L’OMS dispose d’ailleurs depuis 2011 de l’instrument adéquat: le Cadre de préparation en cas de grippe pandémique qui règle l’échange des virus et le partage des avantages résultant de cette information.

Le caractère de biens publics des thérapies et traitements prophylactiques se justifie d’autant plus que ces derniers ont bénéficié et bénéficient encore d’un apport financier massif des collectivités publiques. Cet apport devrait conduire à une réglementation des prix, possibilité pourtant très rarement utilisée. Ainsi la législation américaine prévoit un contrôle des prix d’un traitement ayant bénéficié d’investissements publics pour en faciliter l’accès. Une disposition restée lettre morte à ce jour.

La crise sanitaire actuelle jette une lumière crue sur l’industrie pharmaceutique, ses priorités et sa prétendue capacité d’innovation. L’association Public Eye (Déclaration de Berne rebaptisée en 2016) s’étonne à juste titre du désintérêt des pharmas pour le développement des vaccins contre les coronavirus, alors que plusieurs épidémies de ce type ont déjà sévi. Désintérêt également pour le développement de nouveaux antibiotiques et, de manière générale, pour celui contre des pathologies ne garantissant pas un profit substantiel. La conception que se fait cette industrie de la santé publique reste très lacunaire et bien éloignée des besoins du plus grand nombre.

Cependant, les moyens de redresser la barre existent bel et bien. Le rapport de la commission des Nations unies sur l’accès aux médicaments en fait un large inventaire: une application beaucoup plus stricte des législations en matière de brevets de manière à ne protéger que les véritables innovations; une utilisation plus fréquente de la licence obligatoire qui permet à un pays de produire en cas de nécessité un médicament protégé par un brevet; la publicité des résultats de la recherche publique et le contrôle des prix des médicaments développés à partir de ces recherches. Il importerait surtout une volonté politique de mettre en œuvre ces moyens.

Domaine Public

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