Journaliste au temps des fake news


PAR MARC SCHINDLER

Quand j’étais un jeune journaliste – je vous parle d’un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître – la charte des journalistes de 1971 affirmait que mon devoir était de « respecter la vérité…défendre la liberté de l’information…rectifier toute information inexacte…garder le secret professionnel…s’interdire le plagiat, la calomnie et la diffamation ». En 37 ans de métier dans la presse et à la télévision suisse, je me suis efforcé de respecter ces principes.

Aujourd’hui, cette charte est toujours valable. Mais, comme le code de la route, tous mes confrères ne la respectent pas toujours. J’ai connu des journalistes qui publiaient des informations qu’ils savaient erronées ou approximatives. D’autres qui plagiaient de façon éhontée leurs confrères et qui ne rectifiaient jamais lorsqu’on leur démontrait qu’ils avaient tort. Ou qui balançaient leurs sources sans se soucier des dégâts. Rechercher la vérité n’a jamais été une sinécure. Entre ceux qui ne veulent pas qu’on la publie et ceux qui vous manipulent, le journaliste est parfois découragé devant les obstacles. C’est tellement plus facile de croire tout ce qu’on vous raconte, de ne publier que la vérité officielle, d’accepter les pressions et les conseils de modération ! Ceux que le journaliste dérange ont de puissants moyens juridiques pour le faire taire. L’âge venu, je ne veux pas la mort du pécheur. Mais je m’étonne pas non plus que la crédibilité des journalistes soit au plus bas. Fouille-merde, tous corrompus, aux ordres du pouvoir – ce sont quelques unes des épithètes que le public accole à notre profession.

Aujourd’hui, la vérité journalistique est à géométrie variable. Trump, Bolsonaro, Erdogan et quelques autres proclament des vérités «alternatives» qui, comme le courant du même nom, transportent des informations alternativement égales dans un sens et dans l’autre. Donc, d’une valeur nulle. Le Covid-19 en donne un magnifique exemple : on ne sait plus qui croire, à force de lire et d’entendre tout et son contraire parmi les experts médicaux et les responsables politiques qui s’écharpent sur les plateaux de télévision. Et je vous épargne les déluges d’infos et d’opinions qui déferlent sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, personne ne croit plus la parole du président, des ministres, des responsables de la santé, des experts auto-proclamés. Tous menteurs, tous vendus, tous manipulés !

Alors, les médias ont inventé de nouvelles formules. Ils ont affublé leurs invités dans les studios de nouveaux noms flatteurs : les décodeurs, les informés, les experts. De mon temps – je sais, çà fait boomer, ringard – on informait, on expliquait, on commentait. Fini, tout cà. Aujourd’hui, on décrypte, on décode, on débrife, on désintoxe. Chaque émission a ses stars : retraités de la politique, communicants, spécialistes des sondages, éditorialistes-vedette, portes-parole d’associations, médecins des hôpitaux. Ces experts bien rétribués ont leur rond de serviette sur les chaînes de radio et de TV. D’ailleurs, on les retrouve dans la presse, dans les matinales de radio et dans les débats sur les chaînes d’info en continu. A se demander quand ils ont le temps de s’informer eux-mêmes avant de dispenser leurs savantes analyses ! Il y a toujours eu de fausses informations, des canulars et des tentatives de désinformation. « Le Covid-19 a été volé dans un laboratoire canadien par des espions chinois » ; Trump : « Hillary Clinton est gravement malade » ; Marine Le Pen : « Macron a un compte caché aux Bahamas » ; « L’Irak a développé un programme d’armes de destruction massive ». L’intox est devenue une industrie gérée par des armées de trolls, qui utilisent les réseaux sociaux pour diffuser des fake news. On y trouve des sites extrémistes, complotistes, terroristes, des services secrets et des responsables politiques. Les réseaux sociaux sont devenus la première source d’information. Leurs utilisateurs peuvent répandre des informations sans se soucier de déontologie ni de vérification, puisqu’ils ne sont pas journalistes. Nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité. Balzac avait raison : « Le journalisme est une grande catapulte mis en mouvement par de petites haines ».

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