Trafic aérien mondial, une compagnie dit la vérité, enfin !


PAR GERARD BLANC

En octobre 2016, Alexandre Juniac, président de l’IATA (Association internationale du transport aérien déclarait : “Les gens veulent voler, la demande pour le transport aérien devrait doubler en 20 ans”. En déclarant une telle chose, il y avait plus de fierté que de contrition. En 2018, les chiffres étaient effectivement  effrayants. 4,3 milliards de passagers avaient  embarqué sur l’une des 1 300 compagnies aériennes à travers le monde. Il était alors établi que tous les 15 ans, le transport aérien devait voir le nombre de passager doubler. 

 En 2018, plus de 38 millions de vols ont été effectués  vers l’équivalent de 3500 aéroports commerciaux, soit près de 70 vols par minute ! Précisons toutefois que la prévision de croissance annuelle était d’environ 9 % dans les pays asiatiques ou du Moyen-Orient, mais de 4 % en Europe ou aux USA. Il semblait alors qu’en dépit de  profits relativement faibles, rien ne semblait devoir arrêter la croissance du secteur aérien. Tant de la part de l’IATA que de celle les directions des compagnies aériennes, les low-cost en tête, on est toujours le « nez dans le guidon », plus enclin à une croissance débridée que de se préoccuper des nuisances environnementales.

Tout cela, aussi effrayant soit-il, est peut-être déjà arrivé à vos oreilles, mais une réaction qui serait peut-être passée inaperçue auprès du public est ce mea culpa récent de Sandrine Saint-Sauveur, directrice de la compagnie aérienne française APG, à la base spécialisée dans la représentation commerciale de compagnies aérienne (GSA-General Sales Agent). Lors d’une interview menée par David Keller, journaliste du magazine en ligne Déplacements Pros, Sandrine Saint-Sauveur n’a pas hésité à remettre en cause le principe de l’accroissement incontrôlé du trafic aérien et du développement pervers des compagnies low-cost. Cette remise en question courageuse devrait pousser les directeurs d’autres compagnies aériennes vers une remise en question de leur gestion, permettront d’en sortir avec le problème de la pollution et des effets collatéraux du à son développement sans limite.

Constatant que, en raison de la pandémie, le trafic aérien avait perdu en 2020 l’équivalent de ce qu’elle avait gagné en vingt ans, Sandrine Saint-Sauveur s’en est prise d’abord à la folie.de certaines compagnies consistant à voler à perte pour ne pas perdre de parts de marché. « Pour reprendre la trafic aérien, a-t-elle déclaré,  il ne faudra pas repartir dans cette guerre des prix. Proposer un Paris-Madrid pour 150 euros, c’est de la folie : on paye juste le fuel jusqu’à Chartres ! ».

Mais maintenant, venons-en à l’essentiel, à savoir le débat sur la croissance exponentielle du trafic aérien : Sandrine Saint-Sauveur déclare : « Avec la Covid, l’écologie a gagné et c’est formidable… Partir en claquant des doigts un week-end pour aller manger des pâtes à Rome, je l’ai fait et je ne le referai plus. » Puis, s’exprimant à propos des responsables  de l’expansion incontrôlée du trafic aérien, elle commente: «Ce sont les plus gros qui souffrent le plus durant cette crise. Ça peut se comprendre: un avion au sol, ce sont 30% des coûts fixes qui sont maintenus. Il faut arrêter de dire que de voyager en avion ne coûte pas cher.  Il faut se demander à quel moment les gens ont pété les plombs. Cela a commencé avec la guerre commerciale entre Boeing et Airbus. Les compagnies se sont mises à acheter des appareils pour avoir le dernier modèle que le concurrent avait commandé et elles l’achetaient même tout de suite pour ne pas être sur la liste d’attente et se faire griller la politesse par d’autres concurrents. Dans la commercialisation des billets d’avion, tout le monde est complice, les constructeurs, les compagnies, les distributeurs  (c’est quand même plus facile de vendre un billet à 30 euros plutôt qu’à 300 euros), y compris même les gouvernants des pays à vocation touristique … »

Notre commentaire

En regard de cette interview, Sandrine Saint-Sauveur soulève le problème sociétal et social du transport aérien, ce qui est bien, mais mériterait d’être davantage développé. En effet, le fait qu’une personne puisse se rendre dans une autre ville européenne pour trois fois rien n’a, contrairement à ce que veut le souligner quelqu’un comme Michael O’Leary directeur de Ryanair, pas uniquement pour effet d’offrir aux moins fortunés l’accès à des vols à des prix qui leur soient abordable. Comme le décrit à juste titre Sandrine Saint-Sauveur, le problème est que toutes les classes sociales, aisée comprise,  peuvent se permettre de partir à Rome pour aller manger des spaghettis ou à Londres ou Barcelone pour faire  du shopping en faisant un aller et retour dans la journée. Ne nous leurrons pas : les passagers low-cost sont aussi ceux qui ont un porte-monnaie bien garni  et qui, au lieu de se contenter d’un week-end dans une ville européenne vont s’y rendre dix fois plus. C’est pour cette raison que le transport aérien s’est affolé avec des projets de croissance démesurés. Lorsque Sandrine Saint-Sauveur s’en prend aux compagnies aériennes qui, selon elle, volent à perte (en tous cas avant la pandémie), elle n’évoque malheureusement pas  ce qui pousse certaines des compagnies low-cost comme Ryanair à pratiquer une forme d’esclavage moderne envers ses employés et mener une politique financière à la limite du racket vis-à-vis des petits aéroports régionaux. C’est ainsi qu’elle peut se targuer de faire quand même des bénéfices, tout en pratiquant des prix incroyablement bas à ses passagers. Qu’en est-il en période de Covid? Récemment, Norwegian-Airlines France, qui avait déclaré faillite en mettant à la porte 286 employés, vient de créer une nouvelle compagnie sous un autre nom : une bonne combine pour gagner de l’argent en période de pandémie : cherchez l’erreur. GB

Je pars

Illustration: ©2021 Stephff

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