Au Pérou, le procès de la politique eugéniste du dictateur Fujimori entre dans une phase décisive


PAR PIERRE ROTTET

Trente ans ! Depuis plus de trente ans, les victimes de la politique de contrôle des naissances du dictateur Alberto Fujimori l’attendaient, ce procès pénal hors norme, en raison de la multitude de victimes, qui s’est ouvert le 1er mars dernier à Lima et entre ces jours-ci dans sa deuxième phase.

Le ministère public, à travers le procureur Pablo Espinoza a accusé mercredi 21 avril Fujimori d’être le principal responsable de la stérilisation forcée de milliers de femmes sans leur consentement.

Entre 1995 et 2000, 330’000 femmes, pauvres parmi les pauvres, « indias », « campesinas » de la Sierra, région la plus déshéritée et surtout délaissée par le monde politique de Lima, ont en effet été stérilisées de force, à leur insu, victimes d’une politique eugéniste imposée par Fujimori et des sbires.

Le procureur ne s’est du reste pas trompé en chargeant les responsables de ce génocide. Fujimori bien sûr, mais aussi ses ex-ministres Eduardo Yong Motta et Marino Costa Bauer, ainsi que Alejandro Aguinaga, l’actuel congressiste de Fuerza Popular, le parti que dirige la fille de Fujimori, Keiko Fujimori, aujourd’hui candidate à la présidence du Pérou.

En 2009, la justice péruvienne avait condamné Fujimori – actuellement en détention – à 25 ans de prison pour divers délits liés à des enrichissements personnels, de corruption mais aussi pour crimes contre l’humanité, dont des massacres de civils pendant sa présidence. Ce nouveau procès pourrait lui valoir une nouvelle sanction. Candidate à la présidence lors du second tour, sa fille, Keiko Fujimori, a promis de le libérer si elle était élue.

La plupart des présidents péruviens avaient promis de faire la lumière sur cette page noire de l’histoire du pays, durant leurs campagnes électorales. Plus préoccupés à compter l’argent de leurs corruptions avérées, tous avaient bien vite oublié leurs promesses. Seuls des lampistes comme des toubibs et infirmiers ou infirmières furent inquiétés.

En 2014, la justice, encore sous l’influence du clan fujimoriste, avait refusé de poursuivre Fujimori. Estimant ne pas pouvoir « prouver qu’il s’agissait d’une politique délibérée de sa part ».

Jeudi, le procureur Pablo Espinoza a souligné que « le programme de stérilisation forcée cherchait ni plus ni moins à diminuer les niveaux de pauvreté dans le pays, à réduire la natalité des plus pauvres, cela à des fins économiques pour le gouvernement ».

Fait rare, très rare, l’intervention du procureur, comme la plupart des prises de parole dans l’enceinte du tribunal sont immédiatement traduites en langue quetchua à l’attention des victimes, des survivantes ou de leurs descendants.

La politique eugéniste du clan fujimoriste n’a pas touché que des femmes. Un rapport du ministère de la santé, sous la présidence d’Alejandro Tolèdo (2001-2006), actuellement aux Etats-Unis et sous le coup d’une demande d’extradition du Pérou, faisait état de 331’600 femmes stérilisées, alors que 25’590 hommes subissaient une vasectomie.

Dans une série d’articles écrits à l’époque, nous rapportions alors le témoignage de Eleuteria Yauri. Enceinte, elle avait été emmenée pour accoucher dans un centre médical de la Sierra, dans la région centrale. Analphabète, elle avait alors signé un document présenté par le personnel qui lui proposait de la nourriture et des médicaments contre une « intervention ». « Tu signes ou tu n’auras rien ». La paysanne a finalement perdu son bébé et a immédiatement été stérilisée. A son insu !

En réalité, il s’agissait d’une méthode de chantage. Des menaces ont été aussi proférées contre ces femmes de culture quetchua.

Des employés du ministère de la santé, médecins et infirmières, débarquaient dans les postes sanitaires des villages andins. Ils proposaient à des femmes dépassées par un jargon médical incompréhensible de leur venir en aide comme future maman… Ces femmes constataient par la suite qu’elles ne pouvaient plus enfanter.

Dans un témoignage recueilli à l’époque, Fernando Robles Callo-Manay, d’origine Aymara, maire d’IIave au moment des faits, une importante ville de la région du lac Titicaca, accusait alors : « le gouvernement s’est livré à un véritable nettoyage ethnique s’attaquant à la race indigène et non aux blancs et aux créoles ».

Des ONG positionnées en première ligne dans ce combat de plus de 30 ans aux côtés des centaines de milliers de victimes, accusent l’Agence américaine pour le développement international (Usaid) d’avoir été la principale source d’assistance technique et financière de ces crimes, avec une contribution de 36 millions de dollars. Etrangement, l’Usaid avait reçu le feu vert du congrès américain, pourtant à majorité républicaine à l’époque, et donc théoriquement hostile aux programmes de contrôle des naissances.

Les victimes n’ont jamais été indemnisées ni obtenu de réparation de l’Etat. La candidate à la présidence Keiko Fujimori ne s’est jamais démarquée de son père. Les audiences reprendront jeudi 22 avril.

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