Combien de temps durera l’ère Castillo au Pérou? “Cela dépendra du nouveau président!».


PAR PIERRE ROTTET

Quarante-trois jours après son élections lors du second tour de la présidentielle péruvienne, le 6 juin dernier, le Jury national des élections (JNE) a proclamé lundi Pedro Castillo vainqueur d’une course à la présidentielle. Qui a failli tourner à la farce.

Quarante-trois jours! Du jamais vu. Les recours, les coups de boutoir de la candidate de l’extrême-droite, de ses électeurs, des milieux politiques et financiers, de tout ce que le Pérou compte d’avocats au service de l’oligarchie et de la finance, de cols blancs, n’ont finalement servi à rien. Sinon à différer honteusement la proclamation du résultat. 

Les quelque 270 réclamations pour fraudes, les manoeuvres dilatoires visant à faire annuler l’élection, les chantages, les atteintes à la démocraties, les graves violences perpétrées par les inconditionnels du fujimorisme, y compris les attaques contre le palais présidentiel, contre des ministres et des journalistes, n’ont fait que reporter l’échéance. A savoir l’inéluctable : la victoire du maître d’école et syndicaliste, du “campesesino” et leader d’une gauche radicale.

Même les appels à l’assassinat du chef de fil de « Peru Libre », aujourd’hui président, de la part de l’opusien Rafael Alliaga, n’auront finalement servi à rien. Sinon à attiser la haine, à fractionner un peu plus encore un Pérou plus divisé que jamais entre sa capitale, Lima, et sa Sierra.

C’est la victoire des Cholos et des Cholas, entend-on ici et là tout au long du pays, du sud au nord. La victoire d’une campagne péruvienne et des campesinos de conditions modestes et pauvres, délaissés par les politiques, les milieux financiers, les Limeños. Autrement dit une population de culture quetchua y aymara, principalement, mise hors des clous, marginalisée depuis 200 ans, soit depuis José de San Martin, le 28 juillet 1821. Sans parler de leurs désastreuses et irrespectueuses conditions de vie sous la colonisation espagnole.

« A 51 ans, Castillo est devenu le premier président pauvre du Pérou », a déclaré lundi l’analyste et universitaire péruvien Hugo Otero, cité par l’AFP.

Dans l’une de ses premières déclarations, Pedro Castillo a fait référence à l’anthropologue José Maria Arguedas, considéré comme le plus grand écrivain péruvien, figure intellectuelle péruvienne marquante du XXe siècle, qui n’a cessé de dénoncer tout au long de ses écrits et oeuvres les injustices dont sont victimes les populations andines. « Bienvenue à tous les Péruviens de « todas las sangres » sans distinction aucune, a dit Castillo, allusion à une des oeuvres phares de l’écrivain Arguedas, chantre d’un autre Pérou. Celui qui a porté Castillo à la présidence.

Un clin d’oeil notoire à Vargas Llosa et à son inconditionnel soutien au clan fujimoriste, à sa candidate, à ses déclarations vexatoires à l’égard du candidat Castillo, « à l’ignorance du candidat, aux serranos ignorants ». Voire incultes.

Au bilan final, 44’000 voix séparent Castillo de la candidate Fujimori. Sa troisième défaite après celles de 2010, 2016 et 2021. Malgré la marge étroite au décompte final, l’échec de 2021 prend des allures d’un désastreux et cuisant revers pour le clan fujimori. D’une débâcles pour ceux qui ont inconditionnellement soutenu la candidate Keiko Fujimori, malgré les innombrables casseroles qu’elle traîne. D’une débâcle, enfin, pour l’ex-candidate, avec une sanction qui met sans doute fin à sa carrière politique.

Son avenir passera sans doute par la case prison. Celle qui a déjà effectué 16 mois de prison préventive risque désormais 30 ans de prison pour de graves délits liés à la corruption, au lavage d’argent et autres méfaits. Comme la tentative désespérée de coup d’Etat en ce mois de juillet, ourdie par plusieurs têtes politiques du pays et des militaires de hauts rangs, en coordination avec Vladimir Montesinos depuis sa prison. L’ex-chef tout puissant des services de renseignements péruviens sous l’ére du dictateur Fujimori, celui que les Péruviens désignent volontiers de « Raspoutine péruvien », purge actuellement une peine de 25 ans de prison, après avoir été condamné en 2010.

Le futur gouvernement de Pedro Castillo dont on ne connaissait pas mardi la composition, devrait réunir des personnalités de gauche issues des rangs de ceux qui lui ont apporté un soutien. Castillo assumera la présidence du pays à partir du 28 juillet prochain. Un Pérou malade de ses failles criardes dans ses systèmes de santé et d’éducation publiques, étranglé financièrement après une destructrice pandémie. Comme un seul homme sans doute, les mêmes milieux qui appuyèrent contre nature la candidate Fujimori poursuivront leur campagne de désinformation, en semant auprès des citoyens le vent de la terreur contre, non plus le candidat « communiste », mais bien contre le président cette fois. D’ores et déjà, dans sa rubrique à « La Republica », Rosa Maria Palacios se demande : « Combien de temps durera Castillo au pouvoir ? ». Avant de répondre à sa propre question : « Cela va dépendre de lui ». 

Au Pérou, ce n’est un secret pour personne. Les adversaires de Castillo, les nombreux ennemis du président, serait-il plus juste d’écrire, rêvent d’ores et déjà d’une destitution de Castillo à court terme. A n’en pas douter, ceux qui se sont ligués contre lui, feront tout pour mettre en échec le nouveau président. Quitte à rendre plus moribonde encore une économie qu’eux-mêmes ont mis à mal. Histoire de mettre sur le dos du gouvernement de Castillo les déboires d’un pays victime des corruptions de sa classe politique ces dernières décennies.

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