Pour défendre le Qatar, Mediapart va jusqu’à mettre en cause un disparu


En juillet dernier, le site créé par Edwy Plenel a lancé une violente campagne contre les adversaires du Qatar et des Frères musulmans, intitulée « Abu Dhabi Secrets ». Même un ingénieur français, Jean-Pierre Marongiu, décédé en juin, n’échappe pas à l’hostilité du site.

PAR IAN HAMEL

Le 13 juin dernier, France 3 Grand Est consacre un article à l’occasion de la disparition, à l’âge de 66 ans, de Jean-Pierre Marongiu à l’hôpital de Metz des suites d’une longue maladie. La télévision rappelle que cet ingénieur, diplômé des arts et métiers, avait créé en 2005 un centre de formation au Qatar. La loi de l’émirat l’avait obligé à s’associer à un ressortissant local. Alors que Jean-Pierre Marongiu a investi 3,5 millions d’euros dans sa société, Pro & Sys, en 2013, son sponsor qatari, lié à l’émir, exige de lui racheter ses parts pour… 0,25 euro.

Jean-Pierre Marongiu ne se laisse pas déposséder sans résister. Mais pour le faire plier, le pouvoir judiciaire de Doha le poursuit pour chèques sans provision. Comme il le raconte dans son livre « Qaptif ! Un Français, otage du Qatar », son « sponsor a délibérément retiré l’argent sur le compte, sans m’en tenir informé ». L’ingénieur va ainsi croupir près de cinq ans dans les prisons insalubres de Doha. Très exactement 1 744 jours. Il est finalement libéré en juillet 2018. Alors que Jean-Pierre Marongiu avait été président de l’association des Français du Qatar, la France ne lève pas le petit doigt pour lui venir en aide. Paris ne voulant pas mettre en péril de juteux contrats, notamment dans l’armement, avec l’émirat gazier.

Jean-Pierre Marongiu,
photo DR

« Maison commune » avec Tariq Ramadan

Mediapart, si prompt à dénoncer certains scandales, s’est toujours gardé d’évoquer le cas de Jean-Pierre Marongiu. Il est vrai que le fondateur du site, Edwy Plenel, est au mieux avec les autorités de Doha. En 2015, son livre « Pour les musulmans » est traduit en arabe et mis en vente avec le numéro de juin de la revue Al Doha Magazine… Par ailleurs, Edwy Plenel tenait des conférences en France avec le Suisse Tariq Ramadan. Notamment le 17 janvier 2015 à Brétigny-sur-Orge, quelques jours à peine après l’attaque terroriste islamiste contre Charlie Hebdo. Pourtant, dès le 8 janvier, le prédicateur s’en était pris violemment à l’hebdomadaire satirique, parlant d’un « humour de lâche ». Le patron de Mediapart affirmait n’avoir « aucun désaccord de fond » avec Tariq Ramadan, et souhaitait fonder « une maison commune » avec lui. Depuis les plaintes pour viols, Edwy Plenel a pris ses distances avec le petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans.

Le 13 juillet 2023, un mois très exactement après la disparition de Jean-Pierre Marongiu, dans une série intitulée « Abu Dhabi Secrets », Mediapart met en doute la version de l’entrepreneur sur ses ennuis au Qatar : « Il [Jean-Pierre Marongiu] affirme avoir été piégé par son partenaire local et accusé à tort alors qu’il avait tout perdu », écrit-il. Par ailleurs, alors qu’il était prisonnier à Doha, Jean-Pierre Marongiu avait pu révéler dans l’hebdomadaire Le Point, en octobre 2017, que « plusieurs membres de la famille royale qatarie sont emprisonnés avec lui ».

Au lieu de préciser que cette information a été largement confirmée, Mediapart se contente d’écrire : « Les autorités qataries démentent » (1). Le site parle même d’une « opération pour le moins rocambolesque ». Alors qu’un document officiel du ministère de l’Intérieur a notamment confirmé que Talal ben Abdulaziz Al-Thani, cousin de l’émir, numéro cinq dans l’ordre protocolaire de succession au trône, a été condamné à 25 ans de prison pour… dettes, alors qu’il est immensément riche.

Le site écrit ensuite : « Nous n’avons pas pu interroger Jean-Pierre Marongiu, décédé le 13 juin 2023 pendant notre enquête. Son éditeur ne nous a pas répondu ». Or, Jean-Laurent Poitevin, fondateur et président des éditions Les Nouveaux Auteurs, chez qui l’ancien prisonnier a publié plusieurs ouvrages, se montre catégorique : « C’est faux, Mediapart n’a jamais cherché à me contacter ». Quant à Isabelle Marongiu, la veuve de Jean-Pierre Marongiu, elle est indignée : « Mediapart l’attaque alors qu’il n’est plus là et qu’il ne peut plus se défendre… ». De plus, le site ne dit pas la vérité : son enquête contre les Émirats Arabes Unis a été lancée au début de l’année 2023. Il aurait très bien pu interroger Jean-Pierre Marongiu. Il ne l’a pas fait.

Marongiu n’écrirait pas ses livres

Le 9 juillet 2023, Mediapart s’en est violemment pris à la chercheuse Florence Bergeaud-Blackler, auteur de l’ouvrage « Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête », en écrivant que ses travaux étaient « déconsidérés », ses méthodes « décriées », et que « son entourage sulfureux interroge » (2). Le média, qui est entré en guerre contre tous ceux qui osent critiquer le Qatar et les Frères musulmans, ne se contente pas de mettre en doute la parole de Jean-Pierre Marongiu, il tente de prétendre qu’il ne serait pas l’auteur de ses livres…

Le 29 juin 2023, Yann Philippin, rédacteur à Mediapart, écrit dans un mail destiné au journaliste Ian Hamel, auteur de l’article : « Quel rôle avez-vous joué dans la conception, l’écriture et la promotion du livre « InQarcéré » de Jean-Pierre Marongiu ? » Il ajoute : « Comment expliquez-vous que des employés d’Alp services affirment avoir reçu par vous des versions non définitives du livre ? ». L’entreprise genevoise Alp services, prestigieuse société d’intelligence économique, est la principale cible des attaques de Mediapart. D’autres médias, notamment Heidi News en Suisse, ont participé à la série « Abou Dhabi Secrets ».

Le 6 juillet 2023, Ian Hamel dément, évoquant des « informations totalement erronées ». Il ajoute que Jean-Pierre Marongiu « est assez grand pour écrire ses livres tout seul ». D’ailleurs, n’en a-t-il pas rédigé et publié d’autres ? Notamment « Qaptif ! Un Français, otage du Qatar » et « Aussi noire que soit ma nuit, je reviendrai vers toi ». De plus, Ian Hamel n’a jamais été salarié de Alp services, comme le prétend Mediapart.

Sortir un espion de sa poche

Apparemment le site n’est pas à une contradiction prêt. Dans le même mail, Yann Philippin accuse le journaliste Ian Hamel d’avoir écrit « InQarcéré » à la place de Jean-Pierre Marongiu. Mais cela ne l’empêche pas d’affirmer également que ce serait la société Alp services qui lui aurait « inspiré » l’article paru dans Le Point, le 13 mars 2019, annonçant la sortie du livre « InQarcéré »… (3). Deux mises en cause qui se contredisent : si le journaliste est bien l’auteur du livre, pourquoi faudrait-il que Alp services lui tienne la main pour parler d’un ouvrage qu’il aurait lui-même écrit ?

« C’est hallucinant de prétendre que Jean-Pierre Marongiu n’est pas l’auteur de ses livres. Je peux raconter dans le détail comment il a pu faire sortir de prison ses écrits, contenus dans de petits cahiers », proteste son éditeur. Prenant conscience que ses accusations ne sont pas crédibles, Mediapart change de stratégie. Plutôt que d’accuser l’ingénieur Jean-Pierre Marongiu de ne pas savoir écrire, le site va, quelques jours plus tard, lui trouver des liens avec… un certain Sheikh Matar, présenté comme un dangereux espion des Émirats Arabes Unis, qui coordonnerait, toujours selon le site, « les opérations barbouzades d’Abou Dhabi en Europe ».

Enfin, pour Mediapart, le fameux Sheikh Matar aurait validé un plan de bataille qui consiste à « donner un maximum d’écho au livre « InQarcéré », et faire de Jean-Pierre Marongiu un « militant crédible des droits de l’homme contre le Qatar ». Seul petit problème, à aucun moment Mediapart ne parvient à prouver le moindre contact entre Marongiu et les Émirats et l’espion Matar.

Tenter de discréditer un mort

Pour mieux noircir le tableau, Mediapart assure que l’ancien prisonnier aurait perçu de l’argent aux origines douteuses. De nouvelles accusations qui indignent Isabelle Marongiu, sa veuve : « Jean-Pierre me disait très souvent être surpris que, depuis son retour des prisons qataris, aucun sbire ni Cerbère à la botte du Qatar ne s’en prennent à lui d’une façon ou d’une autre. C’est chose faite. Ils ont attendu qu’il meure pour faire une lamentable tentative de discréditation. Mediapart n’a honte de rien. Pourtant ils devraient ! », lâche cette femme qui a vécu huit ans dans l’émirat.

Interrogé par Mediapart, Mario Brero, le fondateur d’Alp services, déplore que le site utilise « des données volées ». Il estime que les documents dérobés ont été « en partie falsifiés ». Le grand reporter Emmanuel Razavi a connu Jean-Pierre Marongiu. Et surtout, il a enquêté sur ses malheurs au Qatar pour France 3. Il confirme qu’à son retour de captivité, ce dernier vivait dans une grande pauvreté en France. « Je ne comprends pas ce genre d’articles, si ce n’est pour discréditer gratuitement des gens. C’est si facile de s’en prendre aux morts ! », commente ce spécialiste du Moyen-Orient.

  1. Clément Fayol, Yann Philippin, Antton Rouget et Antoine Harari, « ONU, Qatar, Macron : les opérations secrètes du Sheikh Matar, agent des émirats » ; Mediapart, 13 juillet 2023.
  2. Lucie Delaporte, « L’islamologue Florence Bergeaud-Blackler : derrière le buzz, des travaux déconsidérés et des méthodes décriées », Mediapart, 9 juillet 2023.
  3. Ian Hamel, « Membres de l’ET emprisonnés au Qatar : “une mascarade destinée aux médias occidentaux », Le Point, 13 mars 2019.

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Un commentaire à “Pour défendre le Qatar, Mediapart va jusqu’à mettre en cause un disparu”

  1. de PONTBRIAND Lionel 17 août 2023 at 15:23 #

    Dans une presse sous influence, un titre injecte son poison médiatique. Décidément les sponsors du quatargate ne reculent devant aucune tentative de corruption. Certains journalistes n’en sont plus à un reniement ou une manipulation près par le biais d’une valise de fonds susceptibles de servir l’intérêt personnel au détriment d’un écrivain captif durant 5 ans dans des geôles sinistres. Le manque d’éthique journalistique sert finalement la cause totalitaire.

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