Les policiers français en pleine crise


PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris

La saison estivale n’a pas encore pris fin. Mais il n’est pas trop tôt pour affirmer que l’été, en France, aura été émaillé de violences sans précédent auxquelles a succédé l’indignation et même le ras-le-bol des policiers. Conséquence tout à la fois d’un délitement de l’éducation, de l’influence des réseaux sociaux sur une jeunesse en manque de repères, du laxisme de la justice jugée trop molle notamment par les forces de l’ordre, conséquence aussi d’une implantation toujours plus forte du narcotrafic (qui emploie plusieurs milliers d’adolescents en quête d’enrichissement immédiat) : une partie importante de la population française réclame davantage d’implication de l’Etat dans le renforcement du maintien de l’ordre, critiquant sans ménagement le président Macron pour sa gestion effectivement brouillonne et 
chaotique des affaires publiques.

TERREUR – Il y a un mois éclataient des émeutes bien pires que celles survenues en 2005. Rappelons la mèche qui a aussitôt allumé ces six jours marqués par des violences et exactions sans précédent. A savoir le geste peut-être précipité d’un policier qui, en pleine banlieue, à Nanterre, fin juin, a atteint d’une balle un adolescent coupable d’un refus d’obtempérer.

Aussitôt, partout en France des meutes de jeunes gens, parmi lesquels des mômes de moins de douze ans, ont semé la terreur dans les rues de 553 communes, s’adonnant à des incendies de voitures et de poubelles. Plus grave, les émeutiers ont détruit 500 bâtiments publics (principalement des mairies et des écoles). En outre, ils ont pillé nombre de magasins.

Policiers, gendarmes et CRS (Compagnies républicaines de sécurité) ont accompli un exploit : maîtriser une telle explosion de colère et de furie sans qu’un seul émeutier et civil ne soit tué. Toujours est-il que 737 policiers ont souffert de blessures.

Blessée, la police l’est tout autant moralement, à bout de souffle et épuisée par une série noire : les manifestations des Gilets jaunes, les protestations contre la réforme des retraites et… des émeutes estivales sans précédent.


Les médias hexagonaux n’ont jamais autant parlé du malaise qui ronge la police nationale, laquelle emploie (services administratifs inclus) 148.000 personnes. Et pour cause : non seulement les policiers, pris de court par une explosion des violences de toute sorte) sont épuisés et ils déplorent les moyens trop faibles qui leur sont alloués mais ils sont aussi la cible d’accusations proférées par au moins deux partis politiques, LFI (la France insoumise, 75 députés sur un total de 577 sièges)) et Europe-Ecologie les Verts (25 députés). Lors de diverses manifestations, des slogans très polémiques ont été scandés : « Tout le monde déteste la police ». Et encore : « la police tue ». 

COLERE SOURDE – Figure de proue de LFI, un parti qui semble avoir quitté « l’arc républicain », l’ex-sénateur, ministre et député Jean-Luc Mélenchon rêve de désarmer la police et de dissoudre la Bac (Brigades anti-criminalité). La situation serait bien plus simple si la gauche, devenue l’extrême gauche, avait le monopole des discours anti-police. Or, le président Emmanuel Macron, à diverses reprises, à laissé entendre que des flics s’étaient rendus coupables d’un « comportement inadmissible ». Le chef de l’Etat, en coulisse, semble ferrailler contre son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui ne manque jamais une occasion de soutenir les forces de l’ordre, n’hésitant pas, si nécessaire à recourir à la calinothérapie.

A la suite de plusieurs « affaires » survenues lors des émeutes (quelques policiers mis en examen, à la suite de coups de tir ayant causé la mort de jeunes gens interpellés par eux), une colère sourde à secoué les commissariats de France. Service au ralenti et arrêts de travail se sont multipliés, tant à Marseille que dans la région parisienne.

GESTION DESASTREUSE – L’écœurement et même le désespoir qui se propagent dans les commissariats n’est donc pas nouveau, découlant avant tout d’une gestion désastreuse de la police par les gouvernements successifs. Pour s’en convaincre, rien ne vaut la lecture d’un livre choc publié en 2020. Son auteur : un ex-gardien de la paix, Alexandre Langlois (photo DR/wikipedia), qui a fondé un syndicat minoritaire au sein de la police (VIGI) et qui a payé cher les divergences de vue qui l’ont opposé à sa hiérarchie. Dans cet ouvrage intitulé «L’Ennemi de l’Intérieur» (éditions Talma),  il évoque son exclusion de la Police nationale en 2019 : « J’ai comparu devant une audience administrative après avoir adressé plusieurs correspondances au directeur de la Police nationale » (…) « C’est en fait l’inspection générale de la Police nationale qui m’interroge… ».


Le chef des accusations ? Alexandre Langlois s’est insurgé, en tant que syndicaliste, contre ses supérieurs dont il a mis en cause l’incompétence et même les magouilles. En outre, il a critiqué vivement le ministère de l’Intérieur. Ces coups de griffe ont déplu.

POLITIQUE DU CHIFFRE – Voici donc plusieurs extraits de ce pamphlet signé Alexandre Langlois, qui permettra aux lecteurs de se forger une idée plus précise du malaise dont souffre la police.
L’ex-gardien de la Paix s’en prend avant tout à « la politique du chiffre » entamée lors du mandat de Nicolas Sarkozy. « En 2008, une nouvelle étape est franchie avec la mise en place d’une telle politique. La police ne doit plus se contenter d’assurer la sécurité de la population : ses dirigeants doivent bidouiller des statistiques pour la com’ gouvernementale et la rémunération des chefs et directeurs de service.

Depuis 2010, effectivement, l’encadrement de la police (…) bénéficie d’une prime de performance. Pour un commandant, elle est de 9.912 euros par an, pour un commissaire de 25.000 euros et pour un directeur de service de 58.104 euros, avec un coefficient multiplicateur de un à deux (…) La conscience de la police peut-elle être achetée avec de telles primes ? »

GILETS JAUNES – Cette obsession pour la manipulation des chiffres aura été patente lors des manifestations des Gilets jaunes. A ce propos, Alexandre Langlois évoque la journée du 17 novembre 2018 au cours de laquelle 1723 interpellations furent enregistrées. (…) Mais selon leurs récits, des manifestants affirment que c’était un moyen de les empêcher de rester mobilisés. Des avocats dénoncent le caractère préventif de ces interpellations. (…) Les gardes à vue préventives, ça n’existe pas dans le code pénal, déclare un avocat interrogé par le Parisien. »

ARMES CHIMIQUES – Parmi les reproches adressés à l’institution policière par Alexandre Langlois : le recours à des armes dites chimiques, en contradiction avec la Convention sur l’interdiction de ces armes signée à Paris en 1993. Elles ont beaucoup été utilisées, notamment, contre les Gilets jaunes dont les rassemblements monstres étaient considérés comme une menace pour la stabilité de l’état de droit. « A ce titre, déplore l’ex-gardien de la paix, le gaz CS (chlorobenzylidénémalononitrile), les gaz lacrymogènes et les grenades utilisées pour réprimer certaines manifestations peuvent tuer. Et leur composition évolue vers davantage de toxicité, ce qui est dangereux pour les citoyens comme pour les policiers. »

Et Alexandre Langlois de surenchérir : « Le premier décembre 2018 (autre manif des Gilets jaunes), 13.000 grenades ont été tirées contre 8.000 manifestants. Or, à Hong-Kong, en quatre mois de protestations 4.500 grenades ont été utilisées contre des centaines de milliers de personnes »(opposées à la main mise de la Chine sur cette ex-colonie britannique).

Dans la dernière partie de son ouvrage, Alexandre Langlois s’en prend, à juste titre, au gouvernement français:

Le gouvernement ne veut pas assumer son choix de réprimer par la violence. Il veut trouver des lampistes qui paieront pour toute la chaîne hiérarchique de la police nationale(…) Plutôt que de prendre soin de nous, le gouvernement nous méprise.

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