PAR PIERRE ROCHAT
Les barons de l’immobilier avaient discrètement leurs habitudes dans une taverne de la Cité, proche du Château Saint-Maire. Au temps de la croissance infinie, ils s’étaient secrètement réparti le territoire en autant de baronnies. Mais la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) avait drastiquement réduit les surfaces à bâtir. Leurs discussions n’étaient plus que lamentations et invectives contre les Verts.
Aujourd’hui cependant, les tournées s’enchaînaient car une idée folle agitait les esprits autour de la table. Rochat (nom d’emprunt) avait amené des statistiques éloquentes sur le taux d’incinérations versus d’inhumations de la population. Avant même qu’il n’expose ses conclusions, les barons avaient compris. Des hectares s’offraient à eux : les cimetières. Les chiffres le montraient, dans quelques années il n’y aura plus d’inhumations, trop coûteuses, et les tombes existantes seront graduellement désaffectées.
-Alors, champ libre mes amis !
Déjà ils se partageaient le gâteau.
-Rochat : moi je prends le Bois-de-Vaux et toi Chamblandes.
-Tu te rends compte qu’il faudra déplacer les tombes de Ramuz et du Général ?
-Tu es un grand sentimental.
-Non mais j’entends les journalistes !
-Bolomey (nom d’emprunt), avez-vous pensé aux vers, ces vers abondant, vautrés dans l’humus gras ? Les Verts bloqueront le projet au titre de la sauvegarde de la biodiversité.
-Alors préparons un sanctuaire dans les bois du Jorat et proposons de les y transporter.
-Ça commence à faire des frais…
-On n’a rien sans rien !
A la fin de l’apéro, le ciel semblait s’éclaircir pour les bétonneurs tout fiers de leur qualité de visionnaires. Il ne restait plus qu’à aborder les syndics… mais leur accord ne faisait pas un pli, foi de ciment… social.