En 2021, des chercheurs, Hannes Weber et Richard Cincotta ont théorisé comment les pays dont l’âge médian des citoyens est de 25 ans ou moins sont plus enclins aux révolutions. De fait, avant eux, de nombreuses études avaient établi une corrélation entre une démographie jeune et les risques élevés de guerre, voire de violence politique. Toujours en 2021, la démographe Elizabeth Leahy Madsen concluait pour sa part:
“Les données des années 1990 révèlent que les pays où les personnes âgées de 15 à 29 ans représentaient plus de 40% de la population adulte sont deux fois plus susceptibles de connaître un conflit civil. Entre 1970 et 2007, 80% de tous les conflits civils se sont produits dans des pays où au moins 60% de la population avait moins de 30 ans. Les données collectées de 1950 à 2000 ont montré que les pays où 35% ou plus de la population adulte était composée de personnes âgées de 15 à 24 ans avaient 150% plus de chances de connaître une flambée des conflits civils.”
Les faits semblent donc avérés car il semble parmi les chercheurs et les scientifiques y avoir un consensus établissant un lien de cause à effet entre une population jeune d’une part, instabilité et violence d’autre part, au sein d’un pays donné. Voilà qui expliquerait – peut-être ? – pourquoi les pays arabes, et musulmans de la région moyen-orientale, n’ont pas réagi de manière belliqueuse à l’encontre d’Israël depuis l’intensification de la guerre qui l’oppose au Hamas et des conséquences dramatiques collatérales sur les habitants de Gaza. Un nombre important de ces pays a en effet aujourd’hui une population dont l’âge médian est supérieur à 25 ans.
Souvenons-nous de l’Iran des années 1980 qui avait envoyé des centaines de milliers de jeunes défendre son territoire dans cette boucherie que fut sa guerre contre l’Iraq, une époque où l’âge médian des iraniens était de tout juste 17 ans. Et observons sa retenue aujourd’hui, alors que cet âge médian est de 30 ans. Son allié, le Hezbollah, subit lui aussi les conséquences d’un âge médian libanais nettement supérieur à ce qu’il fut durant la guerre civile ayant ravagé le pays dès 1975. Ce parti est obligé, lui aussi, de s’adapter au vieillissement de la population libanaise, dont l’âge médian est même supérieur à celui qu’il était en 2006 lors du conflit l’ayant opposé à Israël. De fait, voilà des décennies que s’effondrent les taux de fertilité au Moyen-Orient : l’illustration parfaite étant encore le cas iranien où ce taux s’est écrasé de 6 dans les années 1980 à 1,5 aujourd’hui.
Par ailleurs, un autre phénomène peut être source d’optimisme, car il semblerait que ce ne soient pas seulement les populations qui vieillissent, mais également les frontières. La dynamique des guerres arabo-israéliennes (1967, 1973…), de Corée (début des années 50), de celles ayant opposé (entre 1947 et le début des années 70) l’Inde et le Pakistan, s’étiole très nettement, car ces divergences relatives aux frontières datent désormais de 70 ans, voire plus. En comparaison des frontières entre la Russie et l’Ukraine formalisées il y a une petite trentaine d’années qui rendent donc ce conflit autrement plus chaud.
Le Moyen-Orient semble être à l’aube d’un paradigme nouveau. L’époque où des masses de jeunes manifestaient dans les rues arabes pour exprimer leurs penchants nationalistes ou leur soif de révolution religieuse est-elle révolue, comme diluée dans une population qui prend de l’âge? Auguste Comte avait-il raison : tout compte fait, la démographie conditionne-t-elle la destinée?
Bonne nouvelle, le Moyen-Orient vieillit!
sur 3 décembre 2023 in Economie - Michel Santi
Tags: démogaphie et guerres, Elizabeth Leahy Madsen, Michel Santi, taux de fertilité, Weber et Cincotta
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