Orbán, l’autre face


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Il est de bon ton de tirer à boulets rouges sur Viktor Orbán. Quand ont lieu des élections, quelque part en Europe, le Premier ministre hongrois revient à toutes les sauces, tel un épouvantail. Tantôt dépeint comme l’autocrate donnant le mauvais exemple, tantôt comme le trublion qui brandit le fanion du nationalisme, tantôt aussi l’ami de Poutine. Pourtant en Hongrie, les opposants au régime ne sont pas mis au cachot et les médias ne sont pas bâillonnés.

La revue de presse européenne quotidienne de la plate-forme gouvernementale allemande Eurotopics témoigne au contraire de la virulence des commentaires contestataires dans la presse d’opposition hongroise. « Comment argumenter face à Orbán aujourd’hui ? En procédant comme l’avait fait Poutine à l’époque. En étant conscient du fait que le langage du pouvoir est le seul qu’Orbán comprend », tacle le journaliste István Marnitz dans l’édition du 7 décembre 2023 du quotidien, ex-organe du parti communiste hongrois, Népszava. On a vu pire en termes de limitation à la liberté d’expression.

Autoritaire, « sulfureux », les médias noircissent volontiers le trait dans leurs descriptions d’un dirigeant néanmoins élu par plus des deux tiers de la population dans une démocratie qui n’a pas grand chose à envier, en termes de qualité de vie, aux critères du bien-être français, allemand ou italien. Une grande majorité des électeurs ne semble accorder aucun crédit à l’opposition de gauche emmenée par l’ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány, un ancien communiste devenu milliardaire.

La Hongrie est très critiquée ces jours-ci du fait de l’intransigeance de son opposition à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. On l’accuse de faire le jeu de Moscou. Orbán a-t-il le défaut de dire tout haut ce que l’on exprime à demi-mot dans les chancelleries? Ou bien prend-il tout simplement le parti des quelque 150’000 Ukrainiens de souche hongroise qui vivent aux frontières de la Hongrie? Un sort largement méconnu en Occident, une minorité aux droits bafoués, dont la population masculine sert de réservoir de chair à canon dans le conflit entre l’Ukraine et la Russie.

Un autre élément qui pèse dans la balance est la dépendance énergétique de la Hongrie à l’égard du gaz russe. Dans ce domaine comme dans d’autres où prévaut l’égoïsme des nations, le pays ne peut compter que sur lui-même. Avant d’être la marionnette de Vladimir Poutine, Orbán est le véhicule des doléances et contradictions d’une nation au destin souvent tragique et compliqué.

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11 commmentaires à “Orbán, l’autre face”

  1. Alain Gonthier 10 décembre 2023 at 19:24 #

    Pertinent. A propos de presse démocratique, les derniers 15 jours de nos organes helvétiques ont produit des poubelles afin de pourrir les élections du Conseil fédéral, le 13 décembre 2023. Respect et déontologie n‘ont plus cours, la presse se détruit elle même.

  2. Akrav 10 décembre 2023 at 19:59 #

    Article intéressant!! Orban, contre l’Europe de l’immigration – malgré les cris d’orfraie de l’Europe et des médias – à évidemment raison. Le reste de l’Europe vote d’ailleurs de plus en plus à droite, mais les gouvernants, pris dans des logiques wokistes, refusant de reconnaître et condamner l’intention génocidaire du Hamas, se trouvent une fois de plus du mauvais côté de l’histoire.

  3. ELÖD 12 décembre 2023 at 11:19 #

    Merci pour cet article !
    Enfin quelqu’un qui essaie de mettre les choses au point!
    Heureusement qu’il y a au moins un dirigeant dans cette pauvre Europe (à la dérive) qui
    tient tête dans cette situation déplorable, aux chefs d’Etat, corrompus pour la plupart,
    ou portant des œillères pour les autres…

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    Christian Lecerf 12 décembre 2023 at 16:37 #

    “Avant d’être la marionnette de Vladimir Poutine, Orbán est le véhicule des doléances et contradictions d’une nation au destin souvent tragique et compliqué.” Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites…
    Viktor Orbán est un populiste d’extrême-droite, certes régulièrement bien élu, mais qui n’en reste pas moins… un populiste d’extrême-droite. Ses fréquentes diatribes contre l’Union Européenne rappellent celles des partisans du Brexit avant le vote fatidique de Juin 2016. Il souhaite une UE “à la carte” alors que l’adhésion suppose des contraintes à accepter afin de bénéficier de certains avantages financiers, ce dont les sujets de sa gracieuse majesté sont en train de se rendre compte, mais un peu tard.
    Bref, ami de Poutine, pourfendeur de l’Occident et des règles de Bruxelles, propos scabreux contre le “mélange des races”, j’en passe et des meilleures…. On se demande ce qu’Orbán et la Hongrie font parmi les 27. Sauf si, à de prochaines élections, un premier ministre moins dogmatique, moins radical et plus conciliant se révèle sur la scène politique locale. On peut toujours rêver…

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      Christian Campiche 12 décembre 2023 at 19:36 #

      On se demande ce qu’Orbán et la Hongrie font parmi les 27? M. Macron doit le savoir qui a reçu courtoisement, pour ne pas dire chaleureusement, M. Orbán à l’Elysée le 7 décembre…

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    Christian Lecerf 12 décembre 2023 at 21:01 #

    Si Macron a reçu le premier ministre hongrois à l’Élysée, c’est sans doute pour essayer d’amadouer la bête… Cela s’appelle la diplomatie et ce n’est sans doute pas la partie la plus intéressante de la vie politique.

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      Christian Campiche 12 décembre 2023 at 21:10 #

      … ou était-ce “la bête” qui essayait d’amadouer Macron? Avec succès, d’après nos sources… Mais cette partie entre “diplomates” n’a pas intéressé les médias mainstream, de toute évidence.

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    Christian Lecerf 12 décembre 2023 at 23:47 #

    Demain, un monde idéal avec Trump, Le Pen, Milei, Poutine, Orbán et compagnie… Super !!

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      Christian Campiche 13 décembre 2023 at 07:13 #

      Je suis d’accord mais tel n’est pas l’objet de l’article. Que dire du silence médiatique autour de l’oppression d’une minorité en Europe?

  7. Géza Teleki 26 décembre 2023 at 13:19 #

    Vous devriez quand même établir une liste des journaux d’opposition disparus sous le régime d’Orbán. Pour moi, une liberté de presse digne de ce nom n’existe plus en Hongrie.
    Pour ce qui a trait à l’Ukraine, sous le régime soviétique, la minorité hongroise était déjà fortement discriminée. On n’en parlait guère, entre autres en raison de la pression du camp communiste, aussi au pouvoir en Hongrie. Si Poutine reconquiert l’Ukraine, la discrimination des Hongrois de Transcarpatie ne sera pas moindre qu’aujourd’hui, elle sera même probablement pire. Dans le cas de la Roumanie, j’ai constaté que la situation de la minorité hongroise ne s’est améliorée que lorsque le pays a demandé son adhésion à l’UE. A ce jour, certaines discriminations n’ont pas encore disparu.

    Je comprends très bien que les jeunes Hongrois d’Ukraine essayent d’échapper à la circonscription – nombre de Russes font du reste de même ! Mais il y a en Ukraine aussi des Hongrois qui s’engagent dans l’armée par conviction. Ils entendent combattre l`invasion russe. C’est une minorité de la minorité, mais elle mérite d’être mentionnée.

    • Christian Campiche 26 décembre 2023 at 16:48 #

      La statistique des journaux dans les pays de l’ancien bloc soviétique pose un problème car la liberté de la presse n’existait pas, de toute façon, avant 1989. Peut-on comparer des pommes et des poires?

      La crise des médias est hélas un phénomène mondial. En Suisse, pour ne parler que d’un pays du bloc occidental, le nombre des journaux se réduit comme peau de chagrin. La presse est victime de multiples maux sous le couvert de modèle économique basé sur la publicité à bout de souffle. En Hongrie, le culte de la personnalité apporte certes une touche différente au traitement de l’information mais, dans le fond, les médias souffrent partout – les Etats-Unis, où nombre de régions n’ont plus de journaux indépendants, ne font pas exception – d’évoluer sous une chape de conformisme, à la botte des grandes agences de presse.

      Concernant les minorités hongroises dans les pays voisins, vous avez raison, le fait d’appartenir à l’Union européenne atténue heureusement les conflits. On ne constate plus les mêmes tensions en Transylvanie aujourd’hui que sous Ceaucescu, par exemple. En ce qui concerne l’Ukraine, si ce pays candidat veut vraiment adhérer, il devra mettre de l’eau dans son vin. En est-il sincèrement conscient? Beaucoup d’eau risque donc encore de couler sous les ponts.

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