Javier Milei, dernière chance de l’Argentine


PAR MICHEL SANTI

Nombre de pays ont décidé de ne plus utiliser leur monnaie mais d’adopter le dollar américain comme standard d’échanges. Pour certaines économies mal gérées, rongées par la corruption, l’abandon de la monnaie nationale est souvent le dernier recours avant la liquéfaction. Nous, Occidentaux, ne nous rendons pas compte des infinies complications et du calvaire que fait subir une monnaie emportée par une spirale de dépréciation ininterrompue. Nous, Occidentaux, n’apprécions pas ce luxe procuré par une devise stable autorisant une fixation au long cours des tarifs des biens et des services.
 
Il suffit de se promener aujourd’hui à Buenos Aires dans les supermarchés ou dans des magasins d’électronique pour constater qu’aucun prix n’y est affiché, car celui-ci est susceptible de changer plusieurs fois par jour. Les souffrances infligées aux populations en terme d’incertitudes macroéconomiques, les insupportables pertes de temps à devoir compter pendant de longues minutes des liasses de billets de banque afin de régler ses emplettes, plaident ardemment pour l’adoption par certaines nations du dollar (ou pourquoi pas de l’euro ?) qui interrompra de manière définitive l’infection généralisée et irrémédiable.
 
C’est précisément ce qui fut entrepris autour des années 2000 en Equateur et au Salvador, deux pays qui ont très nettement bénéficié de l’abandon de leurs monnaies respectives en faveur du billet vert. Autrefois parmi les Etats les plus pauvres d’Amérique Latine, ils se sont redressés de manière spectaculaire, passant d’un taux d’inflation de 15% pour le Salvador et de 50% pour l’Equateur à environ 3% en à peine quelques années. L’adoption d’une monnaie-étalon exerce un effet dissuasif sur l’inflation car tous les produits et services deviennent dès lors exprimés en un médium d’échanges stable, rétablissant la sérénité des consommateurs qui n’ont plus à angoisser pour s’en dessaisir avant une nouvelle flambée des prix, et qui relancent des projets à long terme. L’exemple du Panama officiellement dollarisé est révélateur: un crédit à taux fixe et à 30 ans est courant, quand il n’est possible d’emprunter qu’à 1 ou 2 ans et à taux variable dans les pays subissant l’hyperinflation.
 
Après avoir rangé leur monnaie au rang des reliques, le taux de croissance du Salvador s’est révélé au-dessus de la moyenne régionale à raison de 30%, tandis que l’Equateur a permis à son économie de croître d’environ 7% par an. Vingt ans plus tard, le taux de chômage y est sous la barre des 4%, quand l’Argentine affiche un taux «officiel» de 12%. La disparition du risque de dévaluation dans les pays ayant opté pour le dollar autorise leurs importateurs et exportateurs à commercer en toute sécurité, à redonner vitalité à leur économie. La gestion calamiteuse de l’Etat y est beaucoup moins nocive car les entreprises et les privés peuvent poursuivre leurs affaires, et ce même en cas de défaut de paiement de leur pays. Dans ces conditions, pourquoi l’Argentine a-t-elle conservé jusque-là un Peso qui fait subir à sa population une terrible inflation (près de 150% en 2023), si ce n’est pour la pérennisation par une infime élite de son propre pouvoir? Accessoirement pour la consolidation par certains de leur corruption endémique qui a rongé le pays jusqu’à l’os.
 
C’est donc sur mandat clair qu’a été élu Javier Milei en Argentine. Le nouveau président s’est engagé à la fois à abandonner le Peso et à démanteler la banque centrale du pays, laquelle n’aura en pratique plus aucune latitude dans l’exercice d’une quelconque politique monétaire. Celle-ci lui échappera totalement, elle sera menée depuis Washington (par la Réserve Fédérale). Rayée des organigrammes, ou très largement dépossédée de ses pouvoirs, la banque centrale ne sera plus en mesure de créer de l’argent servant à renflouer les déficits et à acheter la dette publique, un système utilisé par l’exécutif pour régler les frais de fonctionnement du pays, tout en masquant sa propre incompétence. Accessoirement, le taux d’inflation argentin sera drastiquement revu en baisse puisqu’il s’alignera sur le taux d’inflation américain.
 
Il n’est pas nécessaire d’être libertaire ou anarcho-populiste comme l’est Milei pour comprendre les bienfaits substantiels de la dollarisation dans des pays tels que l’Argentine ou encore le Liban, gage d’un retour à la prospérité, d’une réduction massive des risques financiers, d’un renforcement du système bancaire.

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4 commmentaires à “Javier Milei, dernière chance de l’Argentine”

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    Christian Lecerf 7 janvier 2024 at 17:58 #

    Si la dollarisation était la solution idéale, elle aurait été mise en œuvre il y a longtemps. L’économie argentine est déjà largement “dollarisée” pour les transactions les plus importantes comme l’immobilier ou bien l’achat de véhicules automobiles. Et, comme d’habitude, c’est le petit peuple qui souffre le plus… ce qui représente sans doute les deux tiers de la population. Et ce même petit peuple continuera à souffrir avec le dollar qui aura un effet pervers avec une baisse des salaires et une nette séparation entre “ceux qui savent” (se débrouiller pour faire du business) et les autres. Certes, cette séparation existe déjà en Argentine, mais le contrat social était auparavant plus consensuel avec un État-providence assez généreux même s’il était sans doute imparfait.
    Vous vantez les avantages d’une dollarisation en sous-estimant les inconvénients : perte d’indépendance dans la politique monétaire, notamment pour fixer les taux d’intérêt. Fortes contraintes budgétaires avec réduction des déficits publics, nécessaire réindustrialisation pour échapper à la fragilité d’une économie trop dépendante de l’agriculture, nécessaire attractivité globale pour les investisseurs étrangers, etc…
    Bref, le nouveau président ne disposant par ailleurs d’aucune majorité au parlement, j’ignore comment il va s’en sortir. Car finalement, le vrai problème de ce pays c’est la place de l’État dans l’économie : beaucoup trop présent avec les péronistes… et sans doute totalement absent avec le nouveau pouvoir. La dollarisation ne devrait donc pas être une priorité car il y a bien d’autres problèmes à résoudre avant cela…

  2. Michel Bugnon-Mordant 8 janvier 2024 at 14:17 #

    Se réjouir du fait qu’à la suite des sabotages exercés par les Etats-Unis contre les économies latino-américaines susceptibles d’échapper à leur tyrannie, un pays comme l’Argentine accepte de se soumettre à une direction exercée depuis Washington laisse pantois. Désormais alignée, par le truchement d’un président qui trahit sa patrie (mais on en a l’habitude ici, dans une Europe à genoux et léchant les chaussures de l’Etat profond d’Outre-Atlantique), l’Argentine subira à nouveau une politique monétaire au service des plus riches, argentins et yankees. Le peuple, lui, n’y gagnera pas grand-chose.

  3. Pierre Rottet 8 janvier 2024 at 16:39 #

    J’étais en Argentine à mi-décembre. Dire de Milei qu’il est la dernière chance de l’Argentine et le qualifier d’anarcho-populiste relève de la pure fantaisie.

  4. Christian Campiche 9 janvier 2024 at 10:19 #

    Personne n’est obligé de partager l’analyse de qui que ce soit mais cela n’empêche pas de cultiver un certain niveau de commentaire, comme le suggère la charte de la Méduse. Michel Santi est un économiste et auteur respecté de livres critiques sur la finance (dont “BNS, rien ne va plus”, Editions Favre 2023). Sa réflexion sort souvent des sentiers battus, du consensus bien pensant.

    Suite à la parution de son analyse de la situation en Argentine, un ou deux lecteurs ont envoyé des avis dépréciatifs pour le moins laconiques, du style: “lamentable”, “pitoyable”, “affligeant”. Le problème est qu’il ne s’agit pas d’arguments mais de simples états d’âme.

    L’article de Michel Santi ne prétend pas à la vérité, il a la vocation de susciter la réflexion et le débat dans un secteur, l’économie, qui ne suit pas forcément les règles épidermiques véhiculées à la hussarde dans les réseaux sociaux où l’invective est de mise. En l’occurrence des lecteurs l’ont bien compris, qui font part d’un point de vue divergent, mais dans le respect de l’autre.

    Vous n’êtes pas d’accord? Eh bien exprimez-le dans un sens constructif!

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