Navalny mort, il est encore temps de sauver Assange!


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Connaissez-vous Oleg Kononenko? Cet astronaute russe fait son entrée dans le Guiness des records grâce à 878 jours passés dans le cosmos. Nul doute qu’il sera intégré dans le livre d’or des héros de la Russie moderne. Comme tant d’autres astronautes russes avant lui. Et moult espions de haut vol. Une médaille prestigieuse qui récompense les individus pour «leur service à l’État et la nation russe, souvent en lien avec un exploit ou acte de bravoure». Créé en 1992, ce titre honorifique a été attribué plus de 970 fois depuis sa création, dont 440 fois à titre posthume, nous apprend un dictionnaire en ligne: “la majorité des premiers bénéficiaires se répartissent en deux catégories: les participants aux conflits en Tchétchénie et les cosmonautes”.

Navalny n’aura pas cette chance. Tout l’Occident considère l’opposant politique russe comme un héros après son décès subit dans une prison de Sibérie. Mais l’Occident a ses critères que la raison et surtout l’âme russe ignorent. Son mode de pensée à la fois expéditif, superficiel et ingénu l’amène à penser que “Poutine s’expose aux critiques”, pour reprendre le titre d’un quotidien romand. Comme s’il s’agissait d’une nouveauté. De fait rien ne dit, absolument rien, que Navalny soit si populaire en Russie. Par contre Poutine, oui, Poutine, a toutes les chances d’y être considéré comme un héros! De la même manière que Staline se place parmi les personnages historiques les plus populaires en Russie. Lors d’un vote télévisé organisé à Moscou en 2008, le petit père des peuples, en réalité un tyran psychopathe et paranoïaque, n’était devancé que par Pouchkine et le prince Nevski. Quel serait le classement aujourd’hui?

Pays des extrêmes et de la démesure. Point n’est ici le dessein de glorifier un régime éminemment autoritaire. Mais évacuer une réalité d’un revers méprisant de la main n’est pas une position pertinente non plus car elle revient à méconnaître dramatiquement l’histoire d’un peuple que le Marquis de Custine définissait en 1839, l’année de parution de ses “Lettres de Russie” comme “le dernier venu sur le théâtre du monde”. Un peuple, ajoutait l’érudit au sang bleu, rarement satisfait, tant il se nourrit d’amour-propre. Custine: “Personne n’a été plus frappé que moi de la grandeur de leur nation et de son importance politique”.

Le malheureux Navalny a-t-il surestimé sa popularité en Russie? Pourquoi avoir pris le risque insensé de retourner en Russie après la tentative d’empoisonnement dont il a été la victime en 2020? A-t-il été abusé par la propagande occidentale qui l’encourageait à braver Poutine, l’assurant qu’il provoquerait un raz-de-marée et remporterait les élections? Croyait-il vraiment à une protection divine que cautionnerait le soutien de l’opinion publique occidentale manipulée par les médias?

Mort, le voilà statufié dans nos contrées, sans que cela n’amène la moindre solution au problème de la gouvernance russe, si tant est qu’il existe vraiment. Poutine parvient à tirer une légitimité du caractère autoritaire de son pouvoir. Une main de fer qui contribue à perpétuer le rêve tsariste de la grandeur de la Russie, restituant à la population une fierté mise à mal au lendemain de la désagrégation du glacis soviétique. La vague chaotique de privatisations qui s’ensuivit fut interprétée par les compagnies pétrolières occidentales comme une invitation à se servir et à prendre part au repas des rapaces. Dans son ouvrage “Parrain du Kremlin”, publié en 2001, le journaliste américain d’origine russe Paul Klebnikov, directeur de l’antenne moscovite du magazine “Forbes”, dresse le portrait de Boris Berezovski, un oligarque qu’il accuse d’avoir pillé la Russie durant l’ère Eltsine, devenu par la suite un ennemi intime de Poutine. On n’est encore qu’au début du règne de Poutine et Klebnikov imagine à sa manière que le maître du Kremlin pourrait stopper cette mainmise sur les ressources naturelles de la Sibérie. Klebnikov ne verra pas vraiment son souhait se réaliser: il sera assassiné à Moscou en 2004.

Le courage appelle l’hommage. Navalny y a droit. Très naturellement. Hélas cette considération n’est plus que posthume. Bien anthume en revanche est le destin d’un autre personnage hors du commun, mais en grand danger de mort. Il s’appelle Julian Assange. Dans quelques jours, un énième tribunal britannique statuera sur son extradition aux Etats-Unis où il risque la prison à vie. Atteint gravement dans sa santé, Assange est un prisonnier politique comme l’était Navalny. Il est encore temps de le sauver. Free Assange now!

Tags: , , ,

5 commmentaires à “Navalny mort, il est encore temps de sauver Assange!”

  1. Avatar photo
    Christian Lecerf 20 février 2024 at 12:59 #

    Plusieurs ressortissants américains sont détenus en Russie, notamment le journaliste Evan Gershkovich, arrêté il y a près d’un an pour espionnage, à Iekaterinbourg. Il rejette ces accusations, comme ses proches, son employeur, le Wall Street Journal, et le gouvernement américain.
    Mais lui est un véritable journaliste, ce qui n’est pas le cas d’Assange…

    • Avatar photo
      Christian Campiche 20 février 2024 at 16:09 #

      Navalny n’était pas journaliste non plus. On compare des pommes et des poires, le débat ne porte pas sur la liberté de la presse mais les droits humains

  2. Avatar photo
    Christian Lecerf 20 février 2024 at 17:33 #

    La question est : pourquoi autant de battage autour d’Assange qui passe pour un martyre alors qu’il a joué à David contre Goliath et qu’il a perdu ? Si on parle de droits humains, parlons alors aussi de toutes les personnes (injustement) emprisonnées par tous les régimes dictatoriaux de par le monde… et ils sont nombreux.

    • Avatar photo
      Christian Campiche 20 février 2024 at 18:41 #

      D’accord, parlons-en! Mais qui le fera? Des exemples, svp! Et puis pourquoi parler de Navalny, si l’on suit ce raisonnement? Il a aussi joué à David contre Goliath et a perdu… la vie! Il est encore temps de sauver Assange.

  3. de Pontbriand Lionel 28 février 2024 at 18:02 #

    Heureusement qu’existent encore des lanceurs d’alerte! Ils sont là pour éviter certaines dérives autoritaires. La liberté d’expression, les manipulations politiques ou autres qui servent des intérêts économiques sont des enjeux parallèles à la course aux armements par la peur, non par la faculté d’un raisonnement lucide. Je pense que le sage Assange est un messager de la paix.

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.