PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris
C’est assurément une déflagration sans précédent dans le paysage médiatique. Sur le point de célébrer son 20ème anniversaire, BFM TV va changer de main. La semaine dernière, Patrick Drahi, son actuel propriétaire, a signé une promesse de vente, à hauteur de 1,5 milliard de dollars, avec le milliardaire Rodolphe Saadé. Il s’agit de réduire l’endettement d’Altice, la maison mère de BFM TV. Contrôlée par Patrick Drahi (lequel réside en Suisse) Altice est en grande difficulté. (Le navire amiral du groupe dirigé par Drahi demeure l’opérateur de téléphonie SFR.)
Outre BFM, Rodolphe Saadé s’offre aussi la radio RMC et plusieurs autres chaînes de télévision, dont RMC-Découvertes.
En France, comme ailleurs, la concentration dans le secteur des médias s’accélère : à la tête de l’armateur CMA CGM, Rodolphe Saadé avait commencé à bâtir un pôle médias – une filiale dénommée Whynot possédant notamment les quotidiens régionaux La Provence et Corse-Matin ainsi que La Tribune, un hebdomadaire qui vient de lancer une édition dominicale pour concurrencer le Journal du Dimanche, propriété de Lagardère Media News, désormais une filiale de Vivendi dont le grand patron n’est autre que Vincent Bolloré. En outre, Whynot Media détient 11 % de M6 aux côtés de RTL, l’actionnaire majoritaire.
Concurrence féroce – Ces derniers temps, BFM a fait l’objet de rumeurs selon lesquelles la première chaîne d’information en continu serait dans la tourmente. En décembre, on a beaucoup glosé au sujet du départ précipité de l’animateur Laurent Ruquier. Après trois mois d’antenne seulement, il a rompu son contrat avec BFM qui voulait muscler la tranche horaire en début de soirée, lorsque les chaînes de télévision se livrent à une concurrence féroce. Récemment, Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM TV, a cherché à éteindre de telles rumeurs : « Nous faisons la course en tête (sur le segment des télés spécialisées dans l’info en continu) avec douze millions de Français qui nous font confiance chaque jour. »
Le principal danger, pour BFM TV, s’appelle… CNews. Proposant une programmation originale, employant des journalistes renommés (Pascal Praud, Laurence Ferrari, Sonia Mabrouk, Marc Menant, etc), CNews est dans le collimateur du gouvernement à l’heure où celui-ci s’apprête à renouveler les chaînes de la TNT (Télévision numérique terrestre). La chaîne ne ménage pas ses critiques à l’encontre des autorités, à commencer par Emmanuel Macron. Récemment, Vincent Bolloré, le grand patron de Vivendi, dont CNews est l’une des filiales, a été auditionné par une commission d’enquête constituée à l’initiative des députés de la LFI, la France insoumise. Certains soirs, en matinée et en début de soirée, CNews parvient à réunir davantage de téléspectateurs que BFM TV. Une lettre quotidienne diffusée électroniquement, Media Leader, a relevé, au début de l’année : « CNews bat des records d’audience. Portée par la crise des agriculteurs, elle talonne BFM TV avec 2,9 % de part de marché. »
Ecrans publicitaires plus chers – En toile de fond, donc : le marché publicitaire qui, a l’inverse de l’économie française, se porte à merveille. En 2023, par rapport à 2022, une progression de 3,4 %. Voici les tarifs en vigueur pour l’achat de 30 secondes de publicité : entre 2 000 et 10’000 euros le matin ou l’après-midi en semaine ; entre 15 000 et 30 000 euros en accès prime time. Et le week-end ; entre 30’000 et 50’000 euros en prime time ou pendant un programme populaire.
Dès lors, on comprend mieux la raison pour laquelle Vincent Bolloré, à l’occasion de son audition devant la commission précédemment citée, a commenté : « Si vous avez de l’audience vous pouvez vendre plus chers les écrans publicitaires… »