Expositions – A la redécouverte de Germaine Ernst !


PAR PIERRE JEANNERET

L’Espace Arlaud à Lausanne consacre une belle rétrospective à cette artiste féministe de talent.

Le nom de Germaine Ernst (1905-1996) est injustement méconnu, voire oublié. Elle lutta toute sa vie pour que soit reconnu le statut des femmes artistes. Or c’est en 1974 seulement que celles-ci furent admises de plein droit dans la Société de peintres, sculpteurs et architectes suisses, grâce en partie à son combat. Mais concentrons-nous sur son œuvre figurative, abondante et variée, qui plaira sans doute à un nombreux public.

Habitante de Rovéréaz, sur les hauts de Lausanne, Germaine Ernst a beaucoup peint la nature dans ses environs immédiats. Elle excelle particulièrement dans la représentation de l’hiver, avec ses arbres nus et la neige, qu’il n’est pas facile de traduire sur la toile. Elle aime jouer sur le contraste des saisons. Il règne parfois dans ses tableaux une atmosphère étrange, un peu mystérieuse. Ce n’est donc pas par hasard qu’elle fut l’illustratrice du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier et de Derborence de Ramuz.

L’artiste se fit aussi un nom dans la gravure. Notons qu’elle réalisait entièrement ses eaux-fortes, maîtrisant le processus de A à Z, ce qui est relativement rare. Elle obtient de forts contrastes noir-blanc, par exemple dans Piazetta de nuit, qui fit aussi l’objet d’une de ses plus belles huiles.

Cette Vaudoise fut aussi une grande voyageuse, essentiellement dans les pays du Sud, en particulier l’Italie et surtout l’Afrique du Nord. Elle était d’ailleurs née à Alger. On appréciera particulièrement ses peintures réalisées à El Oued, une oasis du Sahara. Elle aime traduire l’atmosphère des villes, aux rues vides ou avec quelques habitants dont la forme est juste esquissée. Ses toiles qui respirent le calme et l’attrait pour le beau invitent à la méditation. Quant à ses vues de montagnes suisses, la modernité (téléphériques, bâtiments en béton, etc.) en est volontairement absente.

Germaine Ernst aimait particulièrement les ports : Palerme, Venise, Marseille et de l’Algérie. Le meilleur de son œuvre est peut-être dans ses toiles montrant ceux-ci, avec leurs bateaux de plaisance. On s’arrêtera notamment devant le magnifique Port de Gabicce. Ses toiles, d’une composition très structurée, recourent aux contrastes, comme celui entre la verticalité des mâts et l’horizontalité de l’eau. Les couleurs qu’elle utilise, avec une prédilection pour le vert, sont tantôt vives, tantôt atténuées. Si son art n’a certes rien de révolutionnaire, son beau tableau représentant Erice, en Sicile, traduit l’influence, consciente ou inconsciente, du cubisme de Georges Braque.

Un autre aspect de l’œuvre très riche et éclectique de Germaine Ernst est sa sensibilité aux problèmes sociaux, à la condition ouvrière, à la misère, avec une connotation chrétienne. Qu’elle montre dans ses gravures et dessins des prisonniers, des femmes pauvres de Sicile, des chômeurs pendant les années de la grande crise économique, des hommes travaillant sur un chantier, elle se montre soucieuse de progrès. Les congés payés permettront ainsi aux familles de passer des vacances balnéaires sur la côte adriatique, ou tout simplement de faire des promenades sur le quai d’Ouchy ou dans le Jardin du Luxembourg à Paris, sujets de certaines de ses toiles.

On appréciera enfin un florilège de petits tableaux représentant des aspects de la nature ou des natures mortes, réalisées d’une manière assez sage, mais très plaisantes à l’oeil, à la manière de ses collègues artistes que furent Violette Milliquet ou Violette Diserens. Une salle rétrospective présente en outre un certain nombre de photographies de cette femme au visage plein de détermination, travailleuse acharnée et artiste féminine engagée.

Les amateurs de gravures contemporaines pourront poursuivre la visite, au sous-sol, par un choix d’œuvres appartenant à la Fondation Germaine Ernst, qu’elle permit d’exister, deux ans après son décès, par un don de son modeste pécule. Avec une mention particulière pour les travaux de Fabienne Verdier, artiste française ayant longtemps séjourné en Chine et qui s’est inspirée de la calligraphie traditionnelle, ainsi que pour une très réussie vision de l’hiver, avec des branches d’arbres dénudées penchées sur le Léman, par Christiane Jaques.

Il faut donc prendre son temps pour visiter la double exposition que propose l’Espace Arlaud !

Le Courrier Lavaux-Oron-Jorat

« Des jours et des nuits. Germaine Ernst peintre et graveuse » et collection d’estampes de la Fondation Germaine Ernst, Espace Arlaud, Lausanne, jusqu’au 31 mars.

Tags: , , , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.