Genèse
Tout poème commence le matin, avec le soleil. Même
si le soleil n’est pas visible (c’est à dire, par temps de pluie)
le poème est ce qui explique tout, ce qui porte la lumière
à la terre, au ciel, et les nuages s’y mêlent – la lumière dérange,
quand elle est excessive. Ensuite, le poème monte
avec les brumes que le jour traîne avec lui; il se glisse dans
la touffe des
arbres, chante avec les oiseaux, court avec les rivières
qui viennent d’on ne sait où et vont on ne sait
où. Le poème raconte comment toute chose est faite
si ce n’est lui-même qui commence par un hasard de grisaille,
comme ce matin, et finit, toujours fortuitement
avec le soleil qui veut percer.
Nuno Júdice. Poème paru dans « Les degrés du regard », anthologie, traduit du portugais par Michel Chandeigne, préface de Michel Host, L’Escampette, 1993
Nuno Júdice appartient à cette génération de poètes que leur pays vénère. Au mois de février de l’an 2000, lors d’un passage en Suisse, notamment à Lausanne, en compagnie d’une poignée de poètes portugais, une brochure parrainée par le consulat général du Portugal à Genève résumait ainsi sa vocation:
En associant un certain goût romantique et symboliste à la réflexion su la création poétique, sa poésie est considérée étant comme l’une des plus originales d’aujourd’hui et lui a valu plusieurs prix littéraires.
Dans « Les degrés du regard« , feu Michel Host, Prix Goncourt 1986, livre son exégèse à propos du poète Nuno Júdice:
Les classificateurs s’interrogent: est-il un post-romantique? Le plus allemand des poètes portugais? Est-il moderne, post-moderne? Pour moi qui ai tenté de le lire dans l’âme, dans le partage des émotions, il est d’abord mon contemporain, au même titre qu’Homère, Maurice Scève, Robert Desnos, Yves Bonnefoy… L’esprit qui souffle dans la poésie essentielle ne connaît pas de caissons étanches où se laisser piéger.
Ainsi que le confirment les hommages appuyés parus dans les journaux de son pays, la disparition de Nuno Júdice, le 17 mars dernier, des suites d’un cancer, laisse un grand vide au sein du monde littéraire portugais. Nuno manque déjà beaucoup également à ses amis suisses qui avaient appris à déceler ses passions dans ses yeux pétillants de malice. Le poète à l’expression verbale aussi contenue que son rire était clair a vécu plusieurs années à Berne avec sa famille, inlassablement secondé dans sa carrière poétique par son épouse Manuela qui créera par la suite la Maison Fernando Pessoa avant de prendre la direction de la Maison de l’Amérique latine à Lisbonne.
Adieu Poète!
Christian Campiche
Nous avons eu la chance de rencontrer furtivement ce grand poète à Lisbonne il y a quelques années. Accompagnés de nos amis suisses qu’il connaissait bien, nous nous souvenons parfaitement de cette soirée, face à une personne modeste, calme, discrète et presque timide. C’est sans doute la marque des grands hommes…