Enron rime avec Swissair mais pas avec Swisscom


PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTIAN CAMPICHE

En 2001, l’Amérique apprenait avec stupeur et consternation le naufrage de l’un de ses fleurons économiques, la société de courtage en énergie Enron. A l’origine de la déconfiture: une gigantesque escroquerie mettant en scène les principaux responsables de la société, comme le montre le reportage diffusé dimanche 11 décembre 2005 sur TSR 2. Leur procès s’ouvrira en janvier prochain.

Dominique Biedermann, vous dirigez la fondation Ethos à Genève, une institution qui milite en faveur de la transparence dans les entreprises sur mandat des caisses de pension. Quatre ans après l’éclatement de l’affaire Enron, la planète économique a-t-elle tiré des enseignements de cette faillite scandaleuse?

Les Etats-Unis ont édicté la loi Sarbanes-Oxley qui contraint les sociétés cotées à mettre en place des mécanismes de contrôle beaucoup plus sévères qu’auparavant. L’Europe n’a pas légiféré de cette manière, mais l’évolution n’y va pas moins dans le sens d’une démythification des conseils d’administration, autrefois intouchables.

»Les actionnaires prennent conscience de leur force et de la nécessité d’exercer une pression sur les instances dirigeantes des sociétés en vue d’obtenir une bonne gouvernance d’entreprise. Si la fondation Ethos n’était pas intervenue, le débat autour du cumul des mandats de Peter Brabeck à la tête de Nestlé n’aurait pas eu lieu. Intéressante est aussi l’initiative de l’Association suisse des institutions de prévoyance qui a décidé d’encourager ses membres à exercer leurs droits d’actionnaires. En tant qu’administrateur fiduciaire de leurs assurés, les caisses de pension détiennent environ 10% des actions suisses et ont tout intérêt à ce que ces sociétés anonymes prospèrent sur le long terme. Or une des conditions requises est une bonne gouvernance d’entreprise. Tout cela n’aurait sans doute pas été possible sans l’affaire Enron.

On a fait beaucoup d’analogies entre l’affaire Enron et la faillite de Swissair. Aujourd’hui c’est Swisscom qui défraie la chronique et certains n’hésitent pas à établir des comparaisons…

Dans le cas de Swissair, il y avait un manque flagrant de mécanisme de contrôle interne. A cela s’ajoutaient des lacunes au niveau du conseil d’administration. Aujourd’hui de tels dysfonctionnements seraient inimaginables. En ce qui concerne Swisscom, la question est pertinente, en effet, car nous nous trouvons aussi dans un secteur stratégique, en l’occurrence les télécoms. Il faut donc installer des garde-fous pour éviter que l’entreprise ne devienne la victime d’une mondialisation sans contrainte. Mais pour comprendre ce qui se passe, il faut remonter au moment de la privatisation, lorsqu’il a fallu adapter les statuts. Parlement et gouvernement ont approuvé certaines modifications au sujet de la composition du conseil d’administration. Ce que je n’ai jamais compris, par contre, c’est pourquoi le Conseil fédéral n’a désigné qu’un seul délégué au conseil d’administration alors qu’il aurait droit à deux sièges. Cette situation est anormale car la Confédération détient tout de même 66,1% du capital.

Vous voulez dire que l’Etat aurait dû s’engager davantage dans la gestion de Swisscom?

Il est clair qu’avec un seul représentant au conseil, le délégué de la Confédération est minorisé. Sa tâche de relais entre l’actionnaire principal et les autres actionnaires est donc très difficile. Cela dit, la Confédération garde un poids prépondérant dans les décisions, elle peut s’opposer à une augmentation de capital, par exemple. Dans tous les cas de figure, il serait suicidaire pour les autres membres du conseil de forcer le représentant du gouvernement à prendre une décision contraire à ses convictions. Théoriquement, la Confédération peut toujours convoquer une assemblée générale extraordinaire et mettre à l’ordre du jour une révocation du conseil.

Morale de l’histoire?

Je ne pense pas que l’on puisse comparer vraiment Swisscom à Swissair, voire Enron, même si, dans le premier cas, on peut déplorer des manquements évidents aux règles de bonne gouvernance. Qui est responsable de quoi? Je le répète, en l’occurrence, la société ne peut pas ne pas tenir compte de l’avis de l’actionnaire majoritaire dont le poids est prépondérant. Ainsi, dans l’affaire des participations étrangères convoitées par l’opérateur, on peut se demander si le Conseil fédéral a utilisé son représentant au conseil d’administration pour informer les instances dirigeantes de Swisscom. Le téléphone rouge a-t-il fonctionné entre M. Leuenberger, le ministre chargé des télécommunications, et ledit représentant? En effet, tant que la Confédération détient la majorité des droits de vote, c’est à elle qu’il appartient en premier lieu d’approuver la stratégie de Swisscom.

En matière de gouvernance, d’autres sociétés suisses présentent-elles la même fragilité?

Parmi les cent plus grandes sociétés cotées à la Bourse suisse, 44 ont un actionnaire qui représente plus du tiers des voix, donc susceptible de bloquer toute décision. Souvent, cette part monte même au-delà de 50%. On peut donc supposer que le problème de gouvernance décelé chez Swisscom a toutes les chances de se retrouver ailleurs. Comme une autre faiblesse que le monde des affaires est loin d’avoir surmontée: les rémunérations versées aux dirigeants lorsqu’ils quittent l’entreprise. Là, je puis vous dire que la discussion ne fait que commencer. Je prédis de chauds débats à ce sujet au cours des prochains mois.

Interview parue dans “La Liberté” du 10.12.2005

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