Mieux vaut une ruée sur l’or que sur les banques


Le prix de l’or exprimé en francs suisses atteint de nouveaux sommets. Il a presque triplé depuis le creux historique de 1999. Malgré le retournement brutal de toutes les matières premières en 2008, cette hausse est toujours intacte. Elle s’est accélérée depuis fin 2008 en réaction à la crise systémique.

Cette nouvelle poussée de fièvre traduit une crainte immédiate des épargnants en premier lieu. Mais elle se greffe sur une tendance de fond : les capitaux continuent à se dégager des papiers-valeurs au profit des actifs réels qui bénéficient de l’inflation ou offrent du moins un refuge contre ses effets. Cette rotation de capitaux traduit la méfiance croissante à l’égard d’un système monétaire fiduciaire et à taux de changes flottants qui permet la création illimitée de papier-monnaie, donc de dette publique, produisant ainsi une inflation « systémique ».

La BNS fixe la stabilité des prix à 2 % d’inflation annuelle; taux qui permettrait d’éviter l’inflation autant que la déflation, redoutée déjà durant les crises de 1997 – 98 et l’implosion des bourses de 2000 – 02. Cette « stabilité » produirait une perte de pouvoir d’achat de 22 % sur dix ans et un doublement des prix sur 35 ans !

Indépendamment de la crise, ce n’est pas Ben Bernanke qui va freiner le processus. Fin 2002 déjà, au plus fort du pessimisme, donc au plus bas des bourses, il a « garanti » au nom de la banque centrale américaine (FED) de créer toute la liquidité requise pour éviter une déflation ; quitte à racheter des obligations de sociétés en plus de celles du trésor (1). En contrepoint, Alan Greenspan a chanté alors les louanges de l’étalon-or, en soulignant la stabilité des prix et des changes qui l’avait caractérisé, par opposition à la permanence de l’inflation depuis son abolition (2). La hausse de l’or s’était logiquement accélérée en 2003.

Si la reprise significative des taux d’inflation entre 2005 et 2007 a été brusquement « corrigée » par l’éruption de la crise en 2008, la réponse des autorités monétaires et politiques pour éviter une dépression économique risque d’aggraver le problème en le différant.

Décrié jusqu’à un stade très avancé de l’actuel cycle à la hausse, l’or a retrouvé son rôle de valeur refuge et d’actif monétaire auprès du public et des professionnels. L’on redécouvre que l’or est la seule « monnaie » à laquelle aucune dette n’est attachée !

Deux initiatives gouvernementales visant à restaurer le rôle monétaire officiel de l’or ont été lancées en 2001 et 2003. La Malaisie avait proclamé l’intention de frapper un dinar en or et proposait de régler ses échanges avec les pays musulmans en dinars–or électroniques. L’Arabie Saoudite avait lancé une initiative de zone de libre-échange qui réglerait ses transactions en euros, voire en or.

Ces initiatives, contraires aux statuts du FMI, n’ont pas eu de suite. Depuis 1978, ces statuts interdisent aux pays membres de lier leurs monnaies à l’or. Aussi, leur motivation politique était évidente face à la faiblesse du dollar et à la situation en Irak à l’époque.

La dénonciation de la convertibilité du dollar en or (1971) a provoqué la fin du système des parités fixes de Bretton Woods en 1973. Depuis, le rôle monétaire de l’or a été graduellement réduit. Mais l’or reste un actif de réserve primordial pour les banques centrales, le FMI et la BRI, qui détiennent 32’000 tonnes sur 161’000 existants, dont 108’000 thésaurisés par des privés en bijoux, lingots et pièces. Trois quarts des réserves officielles sont répartis entre l’Europe 39 %, les USA 26 %, le FMI et la BRI 11%. (3)

Le stock d’or mondial ne peut donc couvrir la monnaie en circulation et de loin. Il faudrait au prix du jour 1 tonne d’or ou 1000 barres de 1 kg pour convertir 34.4 millions de francs suisses! L’or disponible ne permet pas de revenir à un système métal ou à la pleine convertibilité pour assurer la stabilité des prix, du système monétaire et du crédit. Mais sa rareté même en fait un ancrage monétaire plausible. Elle explique pour l’essentiel son attrait pour les particuliers et son intérêt pour les autorités.

En novembre 2005, la FED a annoncé qu’elle cessera de publier, dès mars 2006, son agrégat monétaire-clé M3. Ses efforts de « réflation » se traduisaient-ils déjà à l’époque par une croissance de l’agrégat laissant craindre l’hyperinflation ? L’or avait salué cette annonce par un gain en dollars de 16 % en quatre semaines.

Le « pompage monétaire » lié à la crise a décuplé la base monétaire des USA en une année seulement ! Le gonflement du bilan de la FED est sans précédent : il atteint 1857 milliards de dollars au 4 février 2009 contre 979 milliards au 6 février! Après les excès monétaires des « années bulle néolibérale » (Greenspan-Bernanke), le massif stimulus monétaire et fiscal supplémentaire en réponse à la crise provoque une ruée sur l’or physique de crainte d’une crise monétaire ou bancaire. Cela sans parler du retour d’inflation préprogrammé si le bilan de la FED ne peut être réduit et « normalisé » (hausse du taux d’intérêt) de façon ordonnée dans la durée.

Mieux vaut une ruée sur l’or que sur les banques ! Début 2006 une contribution sur l’or dans « Le Temps » a conclu comme suit: « Après consolidation des gains récents, l’or poursuivra sa hausse pour quelques années encore. Il a des chances de retrouver son rôle monétaire au vu des risques systémiques et du besoin de monnaies stables en tant qu’unité de mesure et moyen d’échange. »

Comme au début 2006, une nouvelle (petite?) « panique d’achat » semble être en cours sur l’or à en croire la formation technique du graphique (« broadening top ») et les indicateurs cycliques. Pour corroborer cette conclusion, les médias relatent au quotidien une demande physique qui ne peut être satisfaite, faute de capacité de raffinage, suite à la rupture des stocks. Les délais d’attente pour la livraison physique en Suisse seraient de plusieurs semaines. Il y a de toute évidence surchauffe de la demande du moins dans le court terme.

Le moment est opportun pour réduire les positions d’or à l’allocation stratégique initiale et de réfréner des envies pressantes d’acheter ! La chute brutale de l’activité économique, des prix des matières premières et du transport maritime indiquent que le danger de dépression économique n’est pas écarté définitivement pour l’instant. Dans ce cas, le métal or ne serait pas exempt de manipulations gouvernementales tout comme la monnaie (contrôles des prix et restrictions à la propriété, etc).
De plus, une réaction technique à la hausse des bourses, plausible au demeurant, ne manquerait pas de se traduire par une baisse du métal jaune.

L’histoire nous enseigne que l’or physique en petites fractions et pièces, les bijoux et pierres précieuses, sont des moyens d’échange universels de dernier recours en cas de crise majeure ou de situation d’urgence. Elle nous apprend aussi à ne pas céder à la pression qu’exerce un environnement de « panique », petite ou grande…

1) B. S. Bernanke, 21.11.2002: Deflation: Making Sure “It” Doesn’t Happen Here.
2) A. Greenspan, 19.12.2002: Issues for Monetary Policy
3) US Geological Survey, Mineral Commodity Summaries, 2005 – FMI et World Gold Council, 2008
4) A. Schorno, Le Temps, 6.1.2006: “L’or a retrouvé son role de valeur refuge; retrouvera-t-il son rôle monétaire?”

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