Je ne suis vraiment pas fier d’être journaliste.
PAR MARC SCHINDLER, Alès
Pourquoi? Encore une fois, la corporation à laquelle j’ai appartenu pendant quarante ans vient de montrer son incompétence et son irresponsabilité. Samedi, en début d’après-midi, la nouvelle tombe: Martin Bouygues est mort. L’un des industriels les plus importants de France, patron du groupe de travaux publics, de TF1 et d’un géant des télécommunications, disparaît à 62 ans. Tous les médias français diffusent cette nouvelle sensationnelle.
Tous, sauf TF1 dont la directrice de l’information dément: elle vient d’avoir au téléphone son patron, surpris par l’annonce de sa mort ! Comment expliquer ce pataquès invraisemblable? C’est tout simple: la seule source de l’information est le maire de la commune voisine du domicile de l’industriel, qui avait annoncé l’intervention des pompiers et qui avait ajouté: «je le connaissais bien, la famille de son épouse était très engagée dans la vie de la commune». Et le journaliste de l’AFP balance la nouvelle, aussitôt reprise par tous les médias. Vérifier auprès de la famille ou auprès du groupe Bouygues, vous n’y pensez pas! Et bien l’AFP avait tout faux. Monsieur le maire explique que le journaliste s’est mélangé les pinceaux: «il y a bien un Monsieur Martin qui est mort ce matin, mais ce n’est pas Martin Bouygues. Le journaliste m’a parlé de cette mort et j’ai confirmé que Monsieur Martin était décédé».
Malheureusement, ça n’est pas la première fois qu’une personnalité ressuscite après l’annonce de sa mort. Comme le disait Mark Twain, dont un journal local avait annoncé le décès: «la nouvelle de ma mort est fortement prématurée». Il y a d’autres exemples célèbres, comme l’annonce de la mort de Khrouchtchev. Dans les années 1960,un journaliste japonais en poste à Moscou contacte une de ses sources proches du Kremlin. Le haut fonctionnaire lui annonce que le secrétaire général du parti communiste n’est pas à Moscou. Le journaliste qui ne parle pas couramment le russe lui demande ce que ça signifie. La source précise: il est parti. Le journaliste comprend mal et croit avoir entendu: il est mort. Aussitôt, le journaliste japonais partage son scoop avec ses collègues en poste à Moscou. Il leur demande simplement de lui laisser la priorité. La nouvelle de la mort de Khrouchtchev fait le tour du monde en quelques minutes. Une seule source, non vérifiée, et l’un des hommes les plus puissants du monde est mort! Réaction de l’agence de presse japonaise, selon la formule habituelle: «annulation, merci de ne pas tenir compte de cette dépêche, d’autres informations suivront, une enquête a été ouverte.»
L’Agence France-Presse fait son mea culpa: «Martin Bouygues: toutes les excuses de l’AFP pour cette terrible erreur… Une enquête est en cours au sein de notre rédaction». Comme le dit bien un lecteur du “Figaro”: «Les médias d’information ne sont plus que des médias de commérage, diffusant toute rumeur non vérifiée qui circule. Il est très loin le temps où toute info était vérifiée.» Pourtant, la charte d’éthique professionnelle des journalistes est claire: «La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources. (…) Le journaliste exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent».
La crédibilité des journalistes n’était déjà pas bien haut dans l’opinion, après les dérapages dénoncés par le CSA dans la couverture des attentats terroristes de janvier. Elle va sûrement dégringoler encore après ce ratage spectaculaire. Les journalistes fustigent à longueur d’articles et d’émissions la superficialité et l’irresponsabilité des hommes politiques. À leur tour d’être pris en flagrant délit de faute professionnelle. Selon la célèbre formule du “Canard Enchaîné”: «pan sur le bec!»
Dommage pour Monsieur Martin d’avoir été autant méprisé.
Quelle belle leçon d’humilité vous nous donnez là! C’est bien de se remettre en question et de ne pas se reposer sur ses acquis. Merci!
Je me permettrais d’ajouter à votre écrit, que non seulement il est important de vérifier une information mais également apprendre à en nuancer les propos. Si souvent, une parole ou une action est divulguée dans la presse avec une pensée tendancieuse ou qui fomente des réactions agressives ou tranchantes. Cela stimule l’esprit dualiste si cher à notre monde moderne, noir ou blanc. Alors que les couleurs donnent des nuances si belles et dans le seul but de donner de l’harmonie dans la diversité!
La charte d’éthique des journalistes, c’est comme le code de la route : tout le monde la connaît, mais beaucoup oublient de la respecter !