Au Chili, un communiste se pose en leader dans la bataille à la présidentielle


PAR PIERRE ROTTET

Daniel Jadue, maire communiste de Recoleta, une importante commune de la région métropolitaine de Santiago du Chili, se pose actuellement en leader de l’opposition chilienne face à la politique ultra-conservatrice du président Sebastian Piñera. De bon augure en vue de la prochaine présidentielle. 

A six mois – 21 novembre 2021 – de ladite présidentielle, Jadue et son parti se voient projetés en première ligne de la lutte pour un changement dans ce pays secoué par la grave crise économique et une pandémie désastreusement gérée par le gouvernement.

La révolte populaire d’octobre 2019, les émeutes dans différentes régions du Chili, avec de violents affrontements entre manifestants et policiers, sonnaient alors comme le départ de la rébellion contre le système politique qu’un Piñera et sa répression militaire n’avaient alors pas su contenir, secourus qu’ils furent de la déroute par un gong nommé Covid 19. Momentanément!

A l’approche d’échéances dans le paysage politique du Chili, on pouvait difficilement mesurer l’impact du ras-le-bol populaire après quelques mois d’agitation, principalement entre octobre 2019 et mars 2020. Mais surtout après « l’accalmie » forcée relative en raison de l’état d’exception constitutionnel pour catastrophe décrété par Piñera. En réalité, le contrôle de la rue par l’armée sous prétexte de combattre la pandémie.

La réponse est venue presque un an après, et plus précisément au soir du 16 mai dernier, avec la convocation des Chiliens à s’exprimer par les urnes. Cela par le biais de quatre scrutins organisés simultanément pour renouveler les mairies, les conseillers municipaux, les gouverneurs régionaux. Mais surtout pour dire oui ou non à la rédaction d’une nouvelle constitution, nommer des constituants, histoire de jeter à la poubelle de l’histoire la constitution imposée sur mesure par le dictateur Pinochet. A laquelle d’ailleurs n’a étrangement pas cru bon de s’attaquer Michelle Bachelet. Pourtant membre du parti socialiste chilien mais surtout présidente du pays à deux reprises, de 2006 à 2010 et de 2014 à 2018. Aujourd’hui Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains.

Au soir du 16 mai, la surprise a été de taille, avec la victoire du mouvement populaire. Au point qu’il n’est pas indécent de parler de débâcle pour le pouvoir; pour Piñera en premier lieu, pour les partis traditionnels en général ensuite, mais surtout pour les milieux conservateurs, des héritiers de Pinochet. Des nostalgique de la dictature.

Face à la pression de la rue, des manifestations de plus en plus organisées, Piñera n’a eu d’autre choix que de soumettre au vote populaire le référendum sur la constitution. Son échec est d’autant plus patent que sa coalition de droite, « Chile Vamos », n’est pauvrement parvenue qu’à un petit 23% des voix. Un camouflet! Piñera et les siens feront finalement de la figuration lors des débats, avec 37 sièges. Le châtiment des Chiliens. A la hauteur de leurs colères. 37 sièges, soit des miettes face aux 118 qu’occuperont des constituants issus de formations indépendantes, d’obédience de gauche, en compagnie du parti communiste et du Frente Amplio. «À l’inverse, écrit à ce propos le correspondant du ‘Monde’ à Santiago, les partis sociaux-libéraux de l’ancienne concertation, qui ont gouverné de 1990 à 2010 sans remettre en cause l’héritage économique de la dictature, n’obtiennent que 25 sièges. Dont 15 pour le parti socialiste et seulement 2 pour la Démocratie-chrétienne». Vertigineuse déconvenue pour eux aussi!

A la désillusion de Piñera et de son équipe ultra-libérale, s’ajoute une autre estocade, avec des défaites cinglantes aux élections municipales et des gouverneurs régionaux. Puisque la colère s’est largement et également répandue et exprimée dans les urnes au niveau des gouverneurs, notamment avec Rodrigo Mundaca, porté au pouvoir à Valparaiso, un militant écologiste, défenseur de l’eau comme bien commun. Mais aussi avec les élections municipales et des victoires retentissantes, comme celle de Jorge Sharp (gauche anti-néolibérale) à Valparaiso, de Irací Hassler à Santiago, militante féministe et communiste trentenaire. Celle-ci devançant largement Felipe Alessandri issu de la droite immodérée, misogyne et anticommuniste déclaré.

Cela pour ne citer que les succès parmi les plus retentissants et mortifiants pour le pouvoir en place, pour ne pas dire préoccupants, avec le triomphe de Daniel Jadue, élu maire communiste de l’importante région métropolitaine de Recoleta, avec plus de 64 % des suffrages… 

Jadue est aujourd’hui le candidat déclaré pour l’élection présidentielle du 21 novembre prochain. De quoi épouvanter la droite et les sociaux-libéraux. Jamais dans l’histoire du parti communiste chilien (PC) un candidat à la présidence n’a ainsi été aussi proche de « La Moneda », le palais présidentiel. Jamais ! Même lorsque « Unidad Popular », du socialiste Salvador Allende, ne représentait guère plus de 17% des forces politiques qui composaient alors son gouvernement.

Licencié en architecture et en sociologie, âgé de 53 ans, d’origine palestinienne, Daniel Jadue se pose en leader dans la bataille à la présidentielle. Des sondages de « Activa Research» publiés il y a une semaine le placent en tête des intentions de vote des Chiliens, avec 19,2%.

Une trajectoire politique que pourrait suivre en 2022 le Brésil. Selon des projections rendues publiques à la mi-mai, l’ancien président de gauche Lula l’emporterait avec 41% des voix au premier tour, dans 18 mois, contre 23% pour Bolsonaro.

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