PAR SANTO CAPPON
Strawinsky ou Stravinsky ? L’un et l’autre s’écrit ou s’écrivent. Ou encore, Stravinski… La translittération du cyrillique à l’alphabet latin autorise ces trois façons d’orthographier le nom d’Igor Stravinsky (1882-1971). Cette petite entrée en matière pour vous entretenir d’une édition originale, celle d’une œuvre composée en 1915 : imprimée pour la première fois chez Adolphe Henn, à Genève en 1917. Il se trouve que j’en ai acquis un exemplaire il y a quelque temps, au hasard d’une farfouille. Il concerne ” Trois pièces faciles pour piano à quatre mains : Marche — Valse — Polka” (notre illustration de l’édition originale de la partition, datant de 1917). La « Marche », dédiée à Alfredo Castella. La « Valse », dédiée à Erik Satie. La « Polka », dédiée à Serge Diaghilew.

Installé en ce temps-là du côté de Clarens près de Montreux, Stravinsky a décidé d’écrire ce genre de pièces à quatre mains pour ses trois jeunes enfants. Afin de les accompagner sur le piano en stimulant leur désir d’apprendre. Cet ensemble de pièces à caractère « satirique » fut interprété pour la première fois en public par José Iturbi le 22 avril 1918. Rappelons par ailleurs que de 1918 à 1922, ce pianiste de renommée mondiale fut professeur de piano au Conservatoire de Genève.
A ma grande surprise j’ai découvert quelque chose, inséré dans le cahier de cette édition originale : deux transcriptions anciennes et inédites, pour violon (ci-dessus et ci-dessous, nos illustrations des transcriptions manuscrites à la plume, inédites, en possession de Santo Cappon). Auteur inconnu. Stravinsky l’aurait-il fréquenté ?
Manuscrites à la plume sur un feuillet recto-verso. L’une concernant la « Valse », l’autre la « Polka ». Sur du papier à musique d’époque, provenant de chez Alfred Vidoudez (1879-1943), maître luthier au 22, rue de la Corraterie. Notons que son fils Pierre (1907-1994) reprendra plus tard le flambeau, à cette même adresse. Si l’on considère que la partition originale en ma possession porte le tampon rond du magasin de musique de Mmes Chouet & Gaden, 16 rue de la Corraterie, on ne peut que constater la proximité de ces deux adresses.
Sur la couverture de cette partition imprimée, on peut lire, en bas à droite : Propriété de l’auteur pour tous pays. Tout droit d’exécution, de reproduction et d’arrangements réservés pour tous pays, y compris le Danemark, la Suède et la Norvège. Or il s’agit bien ici de deux arrangements parfaitement improbables, inconnus jusqu’ici et par conséquent, jamais répertoriés en tant que tels. Stravinsky a bien eu un « complice » en arrangements pour violon, le célèbre Samuel Dushkin (1891-1976). Mais ce, à partir des années trente.
Si l’on considère que ces « Trois pièces faciles pour piano à quatre mains » prennent environ trois minutes pour être jouées, constatons aussi que seule la partie gauche est « facile », la partie droite assumant toute la relative « difficulté » de la partition. De même allons-nous réaliser ici que les deux transcriptions que j’ai découvertes font la synthèse, pour violon solo, de ces deux composantes.
Quant à Stravinsky lui-même, il a fait un certain nombre d’arrangements de ces trois pièces. Une première de la « Polka », pour cymbalum et pour cymbalum et petit ensemble. Il arrangea de même la « Marche », pour 12 instruments. Puis la « Valse », pour 7 instruments. En 1921 il retravailla le tout et les arrangea pour petit orchestre. Il les publia en tant que trois premiers mouvements de la Suite No2.
Ma présente conclusion : certaines « petites musiques » peuvent connaître un écho posthume que peut nous renvoyer, à l’abri des regards, la vallée profonde des grimoires oubliés.
