Montagnes russes


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

Démission présidentielle, putsch raté: l’été débute sur des chapeaux de roue et joue aux montagnes russes.

Dans le « Matin Dimanche », la rédactrice en chef aurait pu féliciter son enquêtrice Marie Parvex qui a réalisé une vaste enquête courageuse sur la mafia de la drogue en Suisse. Mais elle verse d’abord de chaudes larmes sur celui qui a incarné les mesures de contrainte en période de Covid. Un rôle de bon père du peuple que le ministre Alain Berset aura joué sans complexe. Reste que le responsable du département de l’Intérieur ne parviendra pas à gommer l’échec social que constitue la hausse des coûts de la santé. Une nouvelle partie de bras de fer l’attendait au tournant face au lobby des assureurs. Son départ résout son problème personnel mais ne calme pas l’appréhension des rentiers et des petits salariés.

Le brutal rappel à l’ordre du groupe Wagner en Russie est le deuxième fait marquant de la semaine. L’Occident en est réduit à regarder pétrifié le déroulement d’un film dont il ne maîtrise ni les tenants ni les aboutissants. Ses pseudo-experts en demeurent muets, tant ils s’avouent décontenancés par le scénario de cette partie d’échecs russo-russe. Pendant des mois, des années, Wagner était considéré comme l’exécuteur des basses besognes du Kremlin. Financée par un repris de justice devenu très fortuné, cette milice ne semblait pas s’embarrasser de scrupules pour parvenir à ses fins dans les zones de combat. Elle a rendu de toute évidence d’éminents services au Kremlin en Syrie, en Libye, plus récemment au Soudan, voire en Ukraine où elle a participé à la prise du bastion de Bakhmout.

Sa marche de quelques heures sur Moscou semblait tout à coup réhabiliter la milice Wagner auprès de cette même opinion publique occidentale, remontée contre le fauteur de guerre Poutine. Connaîtra-t-on un jour le fin mot de l’histoire? Tout a été dit ou presque sur ce que la presse qualifie de « coup de force » de Wagner. Mais Poutine est-il « indéniablement affaibli », comme le titrent les journaux? Rien n’est moins sûr. Le maître du Kremlin a peut-être eu chaud, il y aura probablement des limogeages dans son armée. Mais le vainqueur, c’est quand même lui. Prigojine a obtempéré face à un simple claquement de doigts. La queue basse, le chef de Wagner est retourné dans sa caserne. Wagner sera probablement démantelé, ses mercenaires dispersés. Investi du chapeau de traître à la patrie, suprême ignominie pour un militaire, le vaincu doit craindre désormais la vindicte de l’aigle blessé. Son intégrité physique est menacée. On ne défie pas de cette manière impunément l’incarnation de la puissance absolue. A trop jouer Icare, on se brûle les ailes.

Prigojine aura-t-il le temps de fuir? Et surtout où irait-il? Quel paradis fiscal voudrait de lui? Sa fulgurante carrière de héros anti-Poutine a fait long feu. S’il avait gagné, des lieux d’accueil comme la Suisse auraient pu passer l’éponge sur l’image détestable qu’il s’est forgée en combattant sur les terrains minés de la planète. Certains commentateurs ont beau essayer de se convaincre du contraire, l’échec du putsch indique plutôt que la Russie n’est pas au bout du rouleau. Loin de là.

Tags: , , , , ,

8 commmentaires à “Montagnes russes”

  1. Le Houelleur Yann 27 juin 2023 at 09:18 #

    On voit bien ce à quoi conduit la désinformation qui consiste à analyser les événements de façon dogmatique et de vouloir imposer à l’opinion publique des anticipations pétries de fantasmes et de doxa divers. Depuis le début de la “crise” ukrainienne l’ensemble des médias européens donne Poutine perdant et le gagnant se doit d’être Zelenski dont on sait pourtant qu’il est assez peu fiable et à la tête d’un Etat corrompu. Qui après Poutine? Le chef d’orchestre de Wagner, Prigojine, aurait pu donner l’impression d’être un digne successeur de Poutine dont les journalistes de plateaux TV rêvaient de la chute. Jeu dangereux. Poutine sait se maîtriser. Il n’a pas recouru à l’arme nucléaire et n’a pas (encore?) exterminé le rival wagnérien. La Russie a échappé au chaos, mieux vaut un Poutine affaibli qu’un successeur susceptible de provoquer le démembrement du pays avec la complicité de pays occidentaux alléchés par ses immenses richesses minérales, gazières, etc. A méditer…

    • Avatar photo
      Santo Cappon 28 juin 2023 at 10:29 #

      La “crise” ukrainienne ?…. Une bien douce qualification concernant une guerre d’invasion sanglante, massacrante, avec des dizaines, des centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, un pays en voie de destruction complète !

  2. Laurette Heim 27 juin 2023 at 15:36 #

    La rébellion d’Evgueni Prigojine
    par Thierry Meyssan

    https://www.voltairenet.org/article219541.html

  3. Christian Campiche 28 juin 2023 at 15:47 #

    Santo Cappon: C’est toujours mieux que les “événements” de Hongrie, terme souvent utilisé pour qualifier la révolution de 1956… A l’époque personne ne se souciait de secourir le peuple hongrois, abandonné à son triste sort. Aujourd’hui on n’hésite pas à risquer la guerre nucléaire en intervenant dans le conflit de famille qui oppose deux peuples cousins. Cherchez l’erreur.

    • Avatar photo
      Santo Cappon 29 juin 2023 at 09:20 #

      Sauf que l’insurrection de Budapest en 1956 ne s’est soldée “que” par 2.500 morts.

  4. Christian Campiche 29 juin 2023 at 09:36 #

    Révolution, Santo! pas insurrection… là aussi la sémantique est importante, les Hongrois ne transigent pas sur ce mot. D’autant qu’il ne s’agissait que de civils… Aucun soldat n’a été mobilisé de force comme en Ukraine ou en Russie, le mouvement était spontané et populaire. Et l’on ne compte pas les centaines de milliers de réfugiés, la crème du pays. En tout état de cause jouer avec les chiffres des victimes n’est pas de très bon goût. Le …”que” est vraiment superflu pour ne pas dire indécent. Il n’y aurait eu qu’un seul mort, cela aurait été un mort de trop.

    • Avatar photo
      Santo Cappon 30 juin 2023 at 09:27 #

      Ta dernière remarque est tout à fait pertinente : j’ai voulu en fait la provoquer et m’en excuse. Ta réaction démontre bien que comparaison n’est pas raison, et qu’il est vain de vouloir comparer l’Ukraine d’aujourd’hui avec la Hongrie de jadis, même au plan des réactions internationales suscitées à l’époque pour la Hongrie et aujourd’hui dans le cas de l’Ukraine.

      D’autant plus que la Hongrie de 1956 était partie prenante du Pacte de Varsovie (alliance militaire avec l’URSS et ses autres pays “satellites”). Autrement dit, le fait d’appartenir militairement à la zone d’influence soviétique, rendait impossible une implication ouverte de l’Occident, même indirecte dans cette affaire.
      Alors que l’Ukraine, selon le droit international, est un pays dont la souveraineté totale a été actée et reconnue par tous (y compris la Fédération de Russie), après la chute de l’Union soviétique. Par ailleurs, un contentieux regrettable entre la Russie et son voisin “cousin”, n’aurait en aucun cas dû faire l’objet d’une invasion aussi brutale que soudaine, provoquant la sidération d’une Europe vivant dans l’illusion d’un “équilibre global” en son sein, laissant supposer que les grands bouleversements géopolitiques de jadis appartiendraient définitivement au passé.

  5. Christian Campiche 30 juin 2023 at 14:22 #

    Attention, la Hongrie n’était pas une République soviétique, comme le furent la Géorgie ou… l’Ukraine, mais bien un État souverain au sens du droit international. Son gouvernement était certes une marionnette aux ordres de Moscou car des troupes soviétiques campaient sur son territoire en vertu de son affiliation au Pacte de Varsovie, l’équivalent de l’OTAN en Occident. Prière de ne pas établir de parallèle avec la situation actuelle…

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.