L’arbre décliné sous tous ses aspects, une des trois expositions estivales du Musée Jenisch


PAR PIERRE JEANNERET

Intéressante trilogie ! L’exposition principale, qui occupe tout le rez-de-chaussée, est consacrée à ces « Gardiens du silence » que sont les arbres. On pouvait craindre a priori une présentation un peu répétitive. Or il n’en est rien. A travers six siècles de productions anciennes et contemporaines, on découvre de nombreuses facettes d’un thème important dans l’histoire de l’art. Le visiteur est accueilli par un beau triptyque d’Astrid de La Forest, qui fait songer aux paravents japonais. Puis on remonte dans le temps. Le Musée Jenisch étant un véritable temple de la gravure, il est normal que l’exposition lui accorde une large place. L’œuvre la plus ancienne est Adam et Eve d’Albrecht Dürer (1504). Le couple est encore dans la luxuriance du Jardin d’Eden, avant la Chute. On peut y reconnaître un figuier et un sorbier, qui avaient à la Renaissance une valeur symbolique, comme presque toutes les essences. Mettons en valeur deux artistes romands. D’abord Alexis Forel, avec Châtaignier à Joulens, dont on appréciera les effets de dégradé progressif, plus les arbres s’éloignent dans le paysage. Quant à Pierre Aubert, il témoigne de son amour pour les forêts du Jura. On retrouvera aussi des noms célèbres : Rembrandt, Hodler, Giacometti, Signac et bien d’autres… D’un expressionnisme cru et presque provoquant, les œuvres de Miriam Cahn et de Barthélémy Toguo représentent des arbres anthropomorphes assez inquiétants. Notons que l’exposition s’accompagne de poèmes, dont nous avons particulièrement apprécié ceux, très sereins, de Claire Genoux.

Si l’arbre représente la force et la stabilité, qui invite à la méditation, s’il peut offrir une protection, il est aussi fragilité. Ainsi lorsqu’il est soumis aux catastrophes naturelles (dont cet été 2023 a montré trop de tristes exemples), aux ravages des guerres ou à la surexploitation par l’homme, que dénonce notamment Cécile Reims avec sa série Plaies d’arbres. Remarquons une Scie en bois de Denis Roueche, ironique puisqu’elle représente l’outil en acier qui cause la mort du tronc, tout en rendant de grands services à l’humanité pour tout ce qu’il offre, du bois de chauffage à la construction, en passant par d’innombrables objets de notre quotidien. Les Bouleaux, grande toile de Stéphane Erouane-Dumas, rend bien le caractère inquiétant que peut revêtir la forêt : il montre une rangée de troncs nus serrés et formant une sorte de grille infranchissable. L’aspect ludique n’est pas absent de l’exposition. Ainsi le traitement par Michael Rampa d’un thème religieux : « Dans la Bible, Zachée se hisse sur un sycomore pour que Jésus le voie » (Julien Burri).

Au premier étage du Musée, on retrouve Astrid de La Forest, à travers une salle qui lui est entièrement consacrée. Les visiteuses et visiteurs apprécieront son œuvre inventive, s’appuyant sur de nombreuses techniques originales, dont celle du corborundum (du carbure de silicium). Inspirée par ses nombreux voyages, l’artiste nous montre des arbres, des paysages, mais aussi des animaux familiers ou exotiques, qui ont une grande force d’expression.

Enfin, une troisième exposition est consacrée aux « Animaux totems » d’Oskar Kokoschka. Si ce n’est pas à nos yeux l’aspect le plus intéressant de son œuvre, on sera sensible à la variété de sa production sur ce sujet. Les amoureux des félins seront comblés ! Poisson lui-même (son signe astrologique), il a souvent représenté ceux-ci, qu’il allait observer le matin dans les ports et les halles de vente. Des encres de Chine abordent des thèmes mythologiques, comme la dévoration quotidienne du foie de Prométhée par un aigle. L’artiste s’est notamment inspiré de l’art pariétal des chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire, excellant comme eux à rendre le mouvement rapide et agile des animaux. Ne pas manquer non plus, dans la même exposition, la vidéo relatant les amours tumultueuses de Kokoschka avec Alma Mahler, la veuve du célèbre musicien. C’est d’ailleurs la souffrance qu’il ressentit après la rupture de cette relation qui le poussera à s’engager comme volontaire dans la cavalerie austro-hongroise. Les horreurs de la guerre de 1914-1918, où il fut grièvement blessé, vont alors transformer son œuvre, qui acquerra toute sa force et son caractère puissamment expressionniste.

« Gardiens du silence », « Astrid de La Forest. Figures du vivant » et « Oskar Kokoschka. Animaux totems », Musée Jenisch, Vevey, jusqu’au 29 octobre.

Article paru dans Le Courrier Lavaux-Oron-Jorat, 24 août 2023

Tags: , , , , , ,

Laisser un commentaire

Les commentaires sous pseudonyme ne seront pas acceptés sur la Méduse, veuillez utiliser votre vrai nom.

Mentions légales - Autorenrechte

Les droits d'utilisation des textes sur www.lameduse.ch restent propriété des auteurs, à moins qu'il n'en soit fait mention autrement. Les textes ne peuvent pas être copiés ou utilisés à des fins commerciales sans l'assentiment des auteurs.

Die Autorenrechte an den Texten auf www.lameduse.ch liegen bei den Autoren, falls dies nicht anders vermerkt ist. Die Texte dûrfen ohne die ausdrûckliche Zustimmung der Autoren nicht kopiert oder fûr kommerzielle Zwecke gebraucht werden.