Enquête poétique sur l’île de Capri, le dernier roman de l’écrivain Étienne Barilier


PAR PIERRE JEANNERET

Auteur d’une thèse sur Albert Camus et de nombreux livres, Étienne Barilier est un écrivain aux multiples talents. En témoigne notamment son roman historique, Noor, se situant pendant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire véridique, héroïque et tragique, d’une espionne au service de Sa Majesté britannique. Son dernier livre, plus « léger », a un parfum mélancolique et poétique. Il présente aussi de plus grandes qualités sur le plan strictement littéraire.

Nous voici donc, de nos jours, sur l’île de Capri, qui fut fréquentée par de nombreux écrivains et peintres. Un homme âgé, Michel Chartran, le narrateur, y entre en contact avec la fille des patrons de l’hôtel, la jeune Sophia, qui le sert à table. Que l’on se rassure, ce n’est pas une nouvelle version de Lolita ! Une confiance et une sympathie réciproque émouvantes vont naître peu à peu entre eux. Or Chartran a été passionné par l’histoire d’une Capriote, Rosina Ferrara, personnage réel décédé à New York en 1934, surtout connue pour avoir été peinte en 1878 par John Singer Sargent, et qui a fini par se marier avec un autre artiste américain un peu terne et puritain. Chartran a appris son existence lors de son lointain séjour à la Villa Médicis, lieu emblématique de l’Académie de France à Rome.

Le roman est une (en)quête sur la vie, et notamment le passé pré-conjugal empreint de mystère de cette fascinante Rosana qui a environ dix-sept ans. On sait qu’elle a eu au nombre de ses amants un homme célèbre, mais qui ? La vérité nous sera révélée à l’extrême fin du livre. Or celui-ci est « à tiroirs », c’est-à-dire qu’un premier personnage dévoile son histoire, qui la raconte à un deuxième, qui lui-même la rapporte à un troisième, et elle finit par aboutir à Michel Chartran … qui peut-être la réinvente en partie en la racontant à sa jeune interlocutrice. Il est vrai que ce procédé littéraire peut décontenancer certains lecteurs inattentifs ou trop pressés.

Comme dans ses nombreux romans précédents, Etienne Barilier y montre sa grande culture, littéraire et surtout picturale, sans cependant que celle-ci soit envahissante et étalée « comme de la confiture », selon l’expression qui sied aux mondains prétentieux. Belle évocation aussi de l’île de Capri, avec une scène particulièrement réussie par son caractère poétique, où Rosina rencontre son amant d’un jour, un personnage exalté et complexe. Celles et ceux qui connaissent personnellement l’auteur y retrouveront des pans de sa vie personnelle, par exemple son propre séjour d’études à Rome, et d’autres aspects plus intimes.

Voilà donc un roman certes un peu exigeant, mais qui séduira, voire envoûtera les lectrices et lecteurs, par l’empathie dont témoigne Barilier envers ses personnages (à l’exception d’un client américain de l’hôtel particulièrement grossier), le léger suspense que contient ce « roman policier sans crime », l’humour qui apparaît par moments, son parfum un peu nostalgique incarné par le narrateur presque au terme de sa vie, qui retrouve son propre passé en même temps que celui de Rosina, enfin par son style élégant sans être précieux.

Etienne Barilier, Rosina, Prilly, éd. Presses inverses, 2023, 217 p.

Article paru dans “Le Courrier Lavaux-Oron-Jorat“.

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