En novembre 2023, le Conseil fédéral a mis en consultation une révision de la Loi sur les épidémies (LEp). Il « propose de réviser partiellement la LEp afin de renforcer ce qui a fonctionné pendant la crise du COVID-19 et combler les lacunes existantes de la loi. Cette révision est nécessaire dans la perspective d’autres pandémies et d’autres menaces importantes en matière de santé publique, telles que les résistances aux antibiotiques. »
Ce discours paraît a priori raisonnable. Néanmoins, il vaut la peine de jeter un regard critique non seulement sur le contenu de cette révision, mais surtout sur le processus comme sur la communication. Et à défaut de surprises, peut-être qu’il y aurait quelques questions critiques…
Des urgences de santé publique ?
Toute action étatique doit répondre à la clause du besoin. Ainsi peut-on peut se demander sur quelles bases le Conseil fédéral a-t-il décidé en juin 2020 déjà, alors que la LEp est entrée en vigueur en 2016 et que la pandémie avait juste 3 mois, qu’il y aurait nécessité de se préparer à d‘autres pandémies ? Est-il seulement plausible qu’en pleine « pire pandémie du siècle » qui aurait fait soi-disant tant de morts, il soit urgentissime de se préparer à une « encore plus pire pandémie du siècle » ? Une telle urgence a-t-elle une quelconque base scientifique ?
Dans la même veine, faut-il inscrire la « lutte contre les résistances aux antibiotiques » dans la LEp, alors que l’OFSP déclare que « selon les estimations [par modélisation] pour la Suisse, on compte environ 300 décès dus à ces bactéries résistantes » et que « en médecine humaine, le taux d’antibiorésistance s’est stabilisé » ?
Ces risques de santé publique sont-ils si apocalyptiques, en comparaison des 75’000 décès annuels de maladies chroniques et les 10’000 liés au tabac, qu’ils justifient une révision de la LEp aussi gargantuesque qu’urgente ?
Une salade russe indigeste
Le lourd avant-projet fait passer le droit d’urgence (la loi covid) dans le droit ordinaire. Un copié-collé sans grand état d’âme. Foin des critiques politiques comme juridiques sur les questions de respect des droits ou de proportionnalité, ce qui semble important est de bétonner un fait accompli.
On y retrouve notamment tout l’arsenal de « ce qui a fonctionné » : vaccins, masques, tests, télétravail, certificat, contact tracing, confinement. Ces mesures pourraient-elles avoir un quelconque impact délétère sur la santé et la société ? Question pas abordée. Et tant pis si tout ce qui aurait « si bien fonctionné » a été inventé en dernière minute hors plans de pandémie et sans preuves scientifiques.
On y trouve également une clause de déclenchement par l’OMS de la situation particulière en Suisse (art. 6b), que le Conseil fédéral étrangement ne considère pas comme une perte de souveraineté.
Encore plus étrange, on y trouve de manière anticipée des contenus du Traité pandémique CA+ de l’OMS et de la révision du règlement sanitaire international, lesquels contenus, selon le Conseil fédéral, ne pourront être connus qu’à l’issue des négociations en cours…
Une médecine fondée sur les faits, ou sur la suspicion et la peur ?
« Perspective d’autres pandémies », « menace importante en matière de santé publique », « défis actuels et futurs pour la santé publique », et autres « agents pathogènes qui peuvent passer de l’animal ou d’un aliment à l’être humain » (One Health) constituent des hypothèses, des potentialités, des événements qui « pourraient » se réaliser. Ces hypothèses, incertaines par nature, sont-elles suffisantes pour justifier un lourd régime fait de centralisation, de digitalisation, de surveillance, d’obligation et de coercition ?
Pour prévenir tant d’horreurs, l’article 12 prévoit de basculer de l’actuelle logique de déclaration des maladies à une obligation de déclarer des personnes. Il imposerait la déclaration des « informations permettant d’identifier les personnes malades, présumées malades, infectées, présumées infectées ou qui excrètent des agents pathogènes » (lit. a), ainsi que « notamment les données socio-démographiques et relatives aux comportements, y compris les données sur la sphère intime » (lit. c).
Ainsi, nous ne serons plus considérés comme malades parce que nous le ressentons ainsi, ou parce qu’un médecin l’aura déterminé, mais administrativement par défaut. Cela établirait un nouveau paradigme médical basé sur une suspicion généralisée, tout un chacun étant a priori « présumé » malade ou infecté. Cela conduirait à la nécessité de devoir prouver qu’on n’est pas contagieux, et donc pas dangereux pour les autres. Comment ? Le projet n’en dit rien, mais l’expérience covidienne du certificat a montré comment un dispositif administratif se basant sur des mesures scientifiquement inadéquates ouvrait la porte à l’arbitraire et à la discrimination.
Avons-nous le choix ?
Selon le Conseil fédéral, oui, mais seulement entre mourir dans d’atroces souffrances, ou alors renoncer volontairement et préventivement à toute liberté et souveraineté. Il nous propose, en bonne application des théories de psychologie sociale, une illusion de choix entre deux options inacceptables : la perte certaine de libertés contre la promesse d’une protection incertaine contre de si terribles dangers.
Et pourtant, nous savons faire de la bonne prévention et gestion des épidémies. Cela passe par renforcer l’immunité naturelle et soigner, et par une large délégation aux acteurs de terrain.
La question qui pourra alors faire l’objet de nos méditations est la suivante : quelle préparation aux défis de santé publique nous parait-elle, à titre individuel comme collectif, la plus désirable et la plus éthique ? A noter que le délai pour prise de position dans le cadre de la consultation est au 22 mars 2024.
Philippe Vallat, Dr ès sc., systémicien, expert en santé publique indépendant, Villarepos