Les migrations des Suisses en Amérique du Sud (I) – Que l’on soit Balmant ou Goy, la vie est une tombola !


Au milieu du 19e siècle, de nombreux Suisses ont fui la famine dans notre pays pour reconstruire leur vie au Brésil. Mais leur saga migratoire ne s’arrête pas là. De Nova Friburgo à Franca, en passant par Minas Gerais et Santa Catarina, ces pionniers ont forgé un héritage familial, retracé avec passion par Cid Balmant (Balmat en Suisse) et son arbre généalogique de 5000 membres sur neuf générations. Pendant ce temps, en Argentine, la famille Goy perpétue l’héritage suisse dans la pittoresque Colonia Suiza, près de Bariloche. Les Hauts Valaisans ont d’abord transité par le Chili avant d’établir une colonie prospère à Colonia Suiza, devenue une attraction touristique très prisée, près de Bariloche. 

PAR NADINE CRAUSAZ

Dans ces deux récits, l’attachement à la culture et aux valeurs suisses est palpable. Pour les Balmant, c’est à travers la foi et la cohésion familiale, avec un réseau de 5000 membres étalé à travers le Brésil. Pour les Goy, c’est dans la préservation de traditions culinaires et la prospérité d’une petite entreprise familiale dans un coin reculé de l’Argentine. Cependant, malgré leurs efforts pour construire une vie meilleure loin de leur terre d’origine, les Balmant et les Goy pourraient être rattrapés par les crises qui frappent désormais l’Argentine et le Brésil. La crise économique en Argentine, exacerbée par une inflation galopante et des difficultés politiques, affecte la vie quotidienne de nombreux habitants, y compris ceux de Colonia Suiza. De même, le Brésil fait face à des défis économiques et politiques, qui pourraient mettre à l’épreuve la résilience de la famille Balmant à Franca et dans d’autres régions du pays.

Un pic fut baptisé Moléson

Les deux familles Balmat de Semsales, celles des cousins André, meunier, et Joseph, cordonnier, ont embarqué en ce 4 juillet 1819 depuis Estavayer-le-Lac à destination du Brésil. Pour conjurer les inquiétudes qui les étreignaient à l’aube de la traversée de l’Atlantique, ils s’étaient tous mis, petits et grands, à rêver de soleil, de conquêtes et de vastes étendues.



Sous les tropiques, ils durent vite déchanter et se rendre à l’évidence. La topographie de la future Nova Friburgo et de sanrégion ressemblait à s’y méprendre à celle de la Veveyse ou de la Gruyère. Cette région montagneuse – avec un pic surplombant la bourgade de Lumiar qui fut baptisé Moléson – ne convenait pas à leurs plans, à leurs projets de cultiver de grandes terres fertiles. 

Déprimés, craignant le fiasco, plusieurs migrants suisses vendirent alors leur lopin aux Allemands arrivés juste après dans la région de Cantagalo. Eux qui avaient fui la famine en Suisse n’allaient pas replonger dans les affres de la misère au Brésil ! Ils s’orientèrent alors soit vers le Minas Gerais soit vers le sud, vers le Parana.

Cid Balmant : un arbre généalogique avec 5000 Balmant

A 400 kilomètres de Sao Paulo, Cid Balmant (90 ans) et son épouse (photo DR avec leurs enfants) ont choisi de couler une retraite paisible dans la belle villa moderne de Franca. En bon patriarche de la famille, Cid s’installe derrière son bureau, ouvre avec précaution un épais classeur qui contient des fiches soigneusement ordonnées. Il est tout fier de présenter son arbre généalogique composé de pratiquement 5’000 Balmant, répertoriés sur 200 ans et sur neuf générations. Il existe aussi une version sur logiciel. Avec des trémolos dans la voix, il égrène les noms, raconte quelques anecdotes.

Jacques, par exemple. Il est là… voyez toute sa descendance… Il y a un autre Jacques, celui qui fut le premier à gravir le Mont-Blanc. Mais le nôtre a aussi réalisé un sacré exploit. Il avait juste 3 ans lorsqu’il a fait la traversée de l’Atlantique, avec ses grandes sœurs et ses parents, à bord du bateau Urania .

Un travail de fourmi

Dans les années 50, j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de la migration, je me suis mis à écrire au sujet de notre famille Balmant. Puis vers 1990, une fois la retraite venue, j’ai eu envie d’en apprendre davantage. J’ai profité de l’essor d’internet pour collecter des informations et j’ai patiemment remonté la piste de la famille qui était arrivée en 1819. Ma belle-mère, qui vit toujours à Nova Fribourg, est de la troisième génération des migrants. Elle m’a raconté beaucoup d’histoires.

Cela m’a donné à méditer sur le destin qui a fait que nous sommes là maintenant. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer comment aurait été ma vie, si mon bisaïeul n’était pas monté sur ce bateau. Il fallait quand même être un peu fou pour s’aventurer à cette époque à travers l’océan. Le voyage jusqu’en Hollande n’avait déjà pas été de tout repos. Ils auraient encore pu rebrousser chemin ? C’était vraiment la misère et la famine qui les chevillaient au corps.

L’ancêtre Jacques Balmat

L’histoire raconte que la malaria avait déjà fait ses premières victimes en Hollande, alors que le groupe a dû s’armer de patience pendant six semaines avant de pouvoir embarquer vers le Brésil. Le sordide le disputant à l’horreur, un corps de bébé mort avait été jeté par-dessus bord, comme c’était de coutume pour les passagers décédés. Il aurait été retrouvé dans l’estomac d’un gros poisson pêché pour nourrir l’armada…

Cid met un point d’honneur à connaître les membres de cette grande lignée. 

Mon grand-père a eu 46 petits-enfants. Cela donne de grandes ramifications dans tout le pays.

En bon patriarche, il téléphone pour souhaiter un bon anniversaire. Il prend régulièrement des nouvelles, compatit lors des décès et félicite les parents des nouveaux-nés.

Je n’ai jamais compté mes heures. C’est ma passion. C’est aussi un hommage pour ceux qui ont tant souffert pour arriver jusque-là et un héritage pour les générations futures.

A Sao Paulo, les Balmant (aujourd’hui sur notre photo DR) connaissent leur petite notoriété, avec une rue qui porte le nom de Vicente David Balmant, bienfaiteur de son église. Cid est quant à lui membre de l’Église presbytérienne.

J’étais secrétaire de ma paroisse durant plusieurs années. Pratiquement 90 pour cent de la famille Balmant du Brésil sont de confession évangélique.

Le chanteur Douglas Balmant est connu pour ses compositions inspirées des passages de la Bible, dans un style gospel. «Des Balmant sont méthodistes, de l’Assemblée de Dieu, etc. Au départ, nous étions catholiques, mais l’influence des allemands luthériens arrivés pratiquement en même temps dans la région de Cantagalo, a été prépondérante. Cid manie aussi le sens de l’humour.

Avec un lignage de presque 5’000 membres, la famille Balmant a accompli la parole de la Bible, quand, dans la Genèse, Dieu bénit son peuple et lui dit: allez et multipliez. Les ancêtres peuvent être fiers de nous!

Colonia Suiza de Bariloche

Dans les premiers contreforts des Andes qui séparent le Chili de l’Argentine, on y découvre un site très prisé des touristes : la Suisse argentine. A 25 kilomètres de Bariloche, dans un écrin de verdure, entre deux lacs à l’eau aussi claire que celle de nos Alpes, Colonia Suiza s’est faite toute pimpante pour accueillir ses nombreux visiteurs.

Les membres de la famille Goy figurent parmi les derniers représentants de la colonie qui avait vu le jour au début du siècle dernier, quand une poignée de colons voulut échapper à une loi d’immigration très stricte. Ils y développèrent diverses activités (agriculture, artisanat …) qui leur permirent de devenir autosuffisants.

La famille Goy est omniprésente. Elle gère le camping municipal, des restaurants et des boutiques de souvenirs. Il y a même des rues à leur nom… Leur petite entreprise est prospère. Le regard droit, comme celui des paysans des montagnes valaisannes d’où est originaire sa famille, le père est peu causant. Il laisse le soin à son fils et sa fille d’accueillir les clients, encaisser les repas et les boissons, pendant qu’il orchestre le fameux curanto avec sa brigade.

Deux fois par semaine (mercredi et dimanche), les touristes se pressent en effet nombreux au restaurant pour y déguster ce plat typique… originaire du Chili! Tout le monde ici pense que le curanto est une spécialité suisse. Le propriétaire de cette attraction culinaire admet la supercherie à demi-mot. Son ancêtre Emiliano Goy l’avait adaptée à sa sauce en quelque sorte… Ce plat est composé de carottes, pommes de terre, poulet, fromage, veau, saucisses de porc… etc. Il est mitonné pendant des heures sur des pierres brûlantes à même le sol. Des grandes feuilles d’un arbre local posées par-dessus maintiennent la chaleur et humidité durant la cuisson.

Dans le restaurant des Goy bondé, un vieux barbu au regard malicieux empoigne sa guitare et met l’ambiance (photo DR). Son épouse l’accompagne aux percussions. Elle conserve l’œil sur lui, c’est un beau parleur et un séducteur… Il est aussi d’origine suisse, bernois, mais il ne sait pas grand-chose de ses racines. Pour clôturer le séjour et faciliter la digestion, il est bon d’explorer le marché local. Les clichés helvétiques sont visibles partout, même si les responsables des stands et les employés n’ont pratiquement plus rien à voir avec la Suisse. A Colonia Suiza, on entretient surtout le business.

Prochain épisode de cette mini série: destins croisés des Crausaz en Argentine, en Equateur et au Guatemala 

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