Tribune libre – Accords Suisse/UE (3/3), les institutions de la démocratie directe menacées

Dans les premier et deuxième volets de cette analyse consacrée aux accords Suisse/UE, nous avons évoqué les problématiques du manque de transparence et de la – boiteuse – clause de sauvegarde. Que les institutions de Bruxelles aient été forgées pour assurer, renforcer et étendre tous les aspects utiles à la pérennisation et au développement de l’économie dite de marché, autrement dit du capitalisme, dans le cadre du marché commun de 1957 (traité de Rome), n’est pas à démontrer. Que, pour ce faire, toutes les directives qu’elles produisent s’accordent à conférer la primauté au marché, permettant au capital de croître, de se concentrer et de bourgeonner en interdisant les monopoles d’État et en imposant notamment la libéralisation et la privatisation de tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à un service public, est incontestable. Enfin, que cette politique, confrontée aux crises, à la résistance et à la lutte des classes qu’elle engendre, conduise irrémédiablement vers une forme de dictature des multinationales et des marchés financiers, est factuel et d’une brûlante actualité.

Or, il se trouve qu’alors que dans toutes les nations intégrées au dispositif de Maastricht, les politiques de rigueur imposées de Bruxelles conduisent à réformer les systèmes de retraites en défaveur des travailleurs, en Suisse, et à contre-courant, les institutions de la démocratie directe ont permis qu’une treizième rente soit octroyée aux travailleurs retraités. Pire encore pour les marchés financiers et les capitalistes, quelques mois plus tard, ces mêmes institutions démocratiques ont amené la population à refuser par référendum une diminution des rentes liées à la part des retraites constituée par capitalisation comme l’exigeaient les banques, les assurances, le Parlement et le Conseil fédéral. Pour l’impérialisme, qui jusqu’à récemment vivait en bonne intelligence avec la place financière suisse, son gouvernement et sa Constitution, les tensions qui ont notamment conduit à couler préventivement Crédit Suisse pour dévier une banqueroute en chaîne du système bancaire US, rendent les conquêtes démocratiques des Suisses, malencontreusement instituées au beau milieu géographique des 27, parfaitement insupportables. Raison pour laquelle, tout type d’accord de portée commerciale négocié avec Bruxelles comporte-t-il une part non-négligeable de contraintes institutionnelles qui, qu’on le veuille ou non, tendent toutes à grignoter et à saper, par ingérence contractuelle, des pans entiers de démocratie directe.

Un bouquet de votations dans plus ou moins trois ans 

Selon ce qui a été transmis à la presse, «Les prochaines élections fédérales sont prévues pour le 24 octobre 2027. Les observateurs ne s’attendent pas à une votation populaire sur le traité avant cela. Les accords avec l’UE seront validés des deux côtés au printemps. Le Parlement devrait se saisir du dossier en 2026. Le Conseil fédéral voulant présenter les trois nouveaux accords séparément, plusieurs référendums et décisions du peuple sont envisageables». Selon les dernières déclarations du Conseil fédéral, ceux-ci ne devraient pas intervenir avant trois ans. Entre-temps, pour gage de bonne volonté, la Suisse, sur décision du Conseil fédéral, s’acquittera annuellement de 130 millions de francs destinés au fonds de cohésion de l’UE.

Quand les accords seront entérinés en votation populaire, pour le cas où ils le soient un jour, ce qui n’est de loin pas gagné, le montant de cette contribution grimpera à 350 millions de francs. Pour l’anecdote, de nombreux observateurs, surtout en Suisse allemande, ont relevé la mine défaite du Conseiller fédéral aux affaires étrangères Ignazio Cassis, lorsqu’à la conférence de presse du 20 décembre, lui, le chef victorieux de la diplomatie suisse qui a réussi là où tous les autres avaient échoué, est venu tracer les grandes lignes des accords à peine signés avec l’UE. L’encre des signatures conjointes de Madame Ursula von der Leyen et du Conseil fédéral n’était pas sèche, que déjà le langage corporel et la mine d’enterrement du patron de la diplomatie suisse portaient en eux le doute sur l’avenir incertain de ces accords à peine signés.

La population est attachée à la démocratie directe

Il faut dire que les écueils qu’ils leur restent à franchir pour arriver à bon port sont nombreux. D’abord, la situation catastrophique des États membres de l’UE avec des crises politiques et institutionnelles un peu partout, en Allemagne, en France, en Roumanie, où une élection a été purement et simplement déclarée nulle et non-avenue ou en Autriche et en Hongrie, où c’est peu de dire que les institutions de Bruxelles n’ont pas bonne presse. Autant de faits d’actualité que la population votante de Suisse regarde avec circonspection. Et puis, il y a l’initiative populaire lancée par l’UDC qui fixe à 10 millions d’individus le seuil au-delà duquel l’immigration en Suisse serait stoppée. Vu l’encombrement des infrastructures routières, ferroviaires, les difficultés à se loger et les prix en perpétuelle hausse des loyers, le risque est grand de la voir aboutir.

Ensuite, il y a l’attachement de la population, toutes classes sociales confondues, pour les instruments de la démocratie directe que seule une petite élite de la bourgeoisie financière et semi-oligarchique verrait volontiers passer à la trappe. Enfin, il y a les travailleurs et paysans de Suisse qui constituent le plus puissant bastion de résistance aux exigences antisociales et antidémocratiques de l’UE. D’ici à ce que ces accords passent en votation, il est certain que les travailleurs attacheront une attention toute particulière à la place que l’USS tiendra pour continuer, ou non, et à quelles conditions, à s’opposer à ces «nouveaux» accords provisoirement conclus entre la Suisse et l’UE. 

Michel Zimmermann, militant ouvrier, Genève

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