La SNCF a-t-elle fait gagner indûment 20 millions d’euros à Thomson Multi Media?

Charles Simon, cadre supérieur de la SNCF, est payé mais sans affectation depuis 2003. Motif ? Il aurait découvert une énorme magouille entre Geodis, filiale de la SNCF, et Thomson Multi Media.

Par IAN HAMEL

En cette période de crise, beaucoup de Français aimeraient être dans la situation de Charles Simon, solide gaillard de 50 ans, établi à Saint-Quentin, dans le département de l’Aisne. Depuis 2003, cet ingénieur des Mines, professeur associé de l’université, perçoit chaque mois sa paye de cadre supérieur de la SNCF sans avoir à rejoindre son bureau. Car de bureau, il n’en a plus. Depuis 2003, il attend, en vain, que le transporteur ferroviaire lui dégote un nouveau poste. Malgré cette “planque“, depuis 2004, Charles Simon réclame des dizaines de milliers d’euros à la société Geodis Solutions, filiale de la SNCF, pour des « dommages et intérêts » et pour « préjudice moral ». « Je suis sanctionné pour avoir été honnête. J’ai dénoncé un vaste détournement de fonds portant sur 20 millions d’euros entre les années 2000 et 2002 », explique Charles Simon. Soit 27,5 millions de francs.

L’histoire peut se raconter ainsi : Charles Simon, entré à la SNCF en 1992, est détaché en 2000 auprès de Geodis Solutions, société de droit privé de transport et de logistique, contrôlée à 43,6 % par la SNCF. Il est chargé de la gestion complète d’un très gros client, Thomson Multi Media (TMM), pour la totalité de ses transports, route, fret, messagerie et express, maritime et aérien. Charles Simon constate l’existence de très nombreux litiges entre TMM et Geodis. Des litiges qui se règlent principalement au détriment de Geodis (et donc indirectement de la SNCF). « Des litiges transports dont la date initiale était supérieure à un an, et tombant sous le coup de la prescription annale (…) n’avaient pas fait l’objet d’un traitement comptable approprié, c’est-à-dire d’une passation en créances irrécouvrables avec réduction du chiffre d’affaires correspondant », souligne Anne-Sophie Petit, l’avocate de Charles Simon.

Cela veut dire quoi ? Que la société Thomson est soupçonnée, pour gonfler son chiffre d’affaires, d’avoir expédié des quantités de TV et autres produits de grande consommation qui n’étaient pas commandés. Ensuite, faute de clients réels, les postes de télé tournent dans le réseau, car celui-ci est organisé pour livrer, pas pour retourner. Certaines télés vont être abîmées, des emballages seront salis. Et quand elles reviennent chez Thomson, l’entreprise les refuse et les facture à Geodis… qui paye sans sourciller. « En fait, plus que du matériel non commandé, il n’y avait souvent pas de matériel du tout expédié. Malgré ça, Geodis a accepté pendant trois ans, à hauteur de 20 millions d’euros, des factures irrécouvrables, sans aucun fondement », dénonce Charles Simon.

Le 18 décembre 2002, il rédige un rapport confidentiel de quatre pages, et se retrouve convoqué par Pierre Blayau, alors président de Geodis, qui le félicite. Mais le 16 janvier 2003, Charles Simon ne peut même plus récupérer ses effets personnels dans son bureau. Il est remis à la disposition de la SNCF qui, depuis, ne lui a pas donné d’autre affectation.

Ces accusations ne peuvent pas aller très loin. Aujourd’hui, il y a prescription. Les documents en possession de La Méduse, rédigés en anglais, notamment un courrier envoyé par l’un des responsables de Thomson à Geodis, le 24 juin 2002, montrent que cette dernière société se montrait pour le moins très maladroite. La lettre évoque des « litiges facturés à partir de 2000 jusqu’à mi 2002 » pour des « marchandises endommagées » pour 7,7 millions d’euros. Toutefois, une maladresse chronique ne signifie pas pour autant qu’il y ait eu des malversations. On peut malgré tout se demander pourquoi la SNCF a récemment proposé à Charles Simon « une proposition transactionnelle à hauteur de 180 000 euros net (…) avec départ volontaire ».

Charles Simon, qui réclamait des dommages et intérêts à la SNCF, vient d’être débouté par le Conseil des Prud’hommes de Paris. Il a décidé de faire appel. En dehors du “Courrier Picard” et de “L’Union“, deux quotidiens édités dans l’Aisne, la presse française n’a pas souhaité évoquer cette affaire. Pour éviter que le robinet de la publicité ne se ferme ?

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