Un nom pour vendre Rosebud


C’est fou ce qu’on s’amuse dans nos patelins. Voyez Lausanne avec son projet de reconstruction du Parlement cantonal.

PAR PIERRE NICOLAS

Or donc, un grand toit gris qui tranche dans l’historique Cité, mais c’est explicable au vu de solutions énergétiques novatrices.

Malheureusement, stupidement, l’autorité avait camouflé l’enjeu lors de la présentation du projet, exhibant un toit plus modeste de couleur cuivrée. Le pot aux roses découvert, ce fut le tollé et la mobilisation des esthètes en chambre; Franz Weber s’en mêlant, un référendum a facilement abouti, passé 16.000 signatures récoltées au creux de l’été, alors que 12.000 auraient suffi…

Panique au Château! Et Pascal Broulis, révérencieusement suivi par le président du Grand Conseil, de sortir de son chapeau un plan de sauvetage assez croquignolesque. On repousse à l’extrême limite la date du scrutin, en mars 2013, et entretemps on redessine le projet! Le toit serait réduit et recolorié – rappelant la gare de départ du téléphérique des Diablerets, comme qui dirait? – et l’on pourrait même le recouvrir de tuiles: quelques tuiles de plus sur la tête des députés, pourquoi pas?

On n’allait pas en rester là. La presse locale, un jour après, donne la parole à l’architecte de ce projet Rosebud visé par le référendum. Lequel module les propos de la veille sur le thème changement dans la continuité. Avec une perle. Comment expliquer ce référendum, une telle levée de boucliers? «Nous avons surestimé la capacité du public à suivre notre raisonnement.» Eh l’ami, faut-il te rappeler la boutade de Berthold Brecht? Le peuple n’est pas d’accord avec ses dirigeants. Il faut dissoudre le peuple.

Permettez maintenant qu’on s’interroge. Peut-on garder cette dénomination Rosebud honnie par les référendaires? Après tout, l’Etat n’en serait pas à son premier changement d’étiquette, voyez l’affaire pas close du Musée cantonal des Beaux-Arts. Venue d’on ne sait où, une nouvelle dénomination «Pôle muséal» est martelée par les communiquants. Il est vrai que c’est un truc pour alourdir le projet de plusieurs déménagements de musées. Au point qu’on sent poindre un «remake» de la fable «La Grenouille et le Boeuf». Avec Rosebud, c’est plutôt le boeuf qui voudrait se faire aussi petit que la grenouille.

Alors, quel nom pour ce nouveau palais du Parlement? Surtout pas «Palais», misère! Je proposerais plutôt «Villa», vous savez, la Villa Borghèse, ça en jette… Mais encore, en plus modeste évidemment, il y a la villa romaine d’Orbe que l’Etat, dans sa pingrerie, a cantonnée dans des baraquements. Voilà qui devrait rassurer. Allez, pour donner un ton bien de chez nous et inspirer les redessinateurs du projet, proposons «Villa ça m’suffit».

Article paru dans “Courant d’Idées

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4 commmentaires à “Un nom pour vendre Rosebud”

  1. Barbara 14 septembre 2012 at 21:49 #

    “Rosebud”… depuis le début de cette affaire je repense au film culte d’Orson Welles, Citizen Kane. “Rosebud”, souvenez-vous, c’est le mot ultime que lâche le personnage qu’incarne Welles, grand magnat de la presse, au moment de mourir dans son château mégalo, alors
    que lui tombe des mains une boule de verre contenant une petite maison sous la neige.

    Un journaliste se lance alors dans une enquête pour percer le mystère de “Rosebud” sans y parvenir, même en passant en revue toute la vie du très puissant Citoyen Kane. Pourtant à la fin du film, alors que l’enquête est achevée et que Kane n’est plus, des ouvriers viennent débarrasser le château et jettent au feu mille objets lui ayant appartenu. Parmi eux, une luge d’enfant sur laquelle est écrit le nom de “Rosebud”. Indifférents, les ouvriers continuent leur travail et la luge s’en va brûler avec le reste des affaires à éliminer. La dernière scène, inoubliable, voit la luge et son inscription, Rosebud. léchées et mangées par les flammes…Sic transit gloria mundi…

    Rosebud, c’est bien le redimensionnement humain du personnage dont toute la vie se confond avec un empire, c’est l’évocation de l’enfance et de l’innocence perdues, de quelque chose d’enfoui que ce potentat lâche au moment où la mort vient le chercher, comme un regret, un aveu, une espérance de rédemption… peut-être…

    Difficile d’imaginer que les architectes de “Rosebud” n’aient pas pensé à “Citizen Kane” en baptisant leur projet “Rosebud”. Ont-il nourri l’espoir, ce qui serait délicieusement subversif, que dans ce “bouton de rose” s’apaiserait le pouvoir avant de s’endormir pour toujours?

    Mais n’était-ce pas jouer un peu avec le feu que de donner à un projet, appelé à remplacer un édifice incendié, celui de l’ancien parlement, ce nom de “Rosebud” qui part en fumée dans le dernier plan d’un des plus grands films de l’histoire du cinéma?
    http://www.youtube.com/watch?v=HyJAytr1ebc

  2. Arnaud 22 septembre 2012 at 18:03 #

    Simple commentaire d’encouragement, je ne lis pas souvent vos articles, mais lorsque je les lis je les trouves intéressent.

    Je vous souhaite de pouvoir continuer et faire connaître un peur plus la méduse.

  3. Arnaud 22 septembre 2012 at 18:03 #

    “Un peu plus” ;)

  4. Magnin Eric 23 septembre 2012 at 17:06 #

    Communiqué des référendaires:
    Le Grand Conseil et le Peuple vaudois méritent un cadre clair

    Face à une équation avec de multiples inconnues, le comité référendaire demande à l’unanimité une décision formelle du Conseil d’Etat concernant le traitement du référendum et la reconstruction du Grand Conseil. Les variantes procédurales proposées, les positions des groupes et les propos contradictoires du Conseil d’Etat et de l’architecte sont troublants. Le comité ne veut pas d’un projet sans toit ni loi.

    Après avoir récolté avec succès les signatures nécessaires, le comité constate avec satisfaction que ce qui était intouchable peut maintenant être remis en question. Plus de 16’289 Vaudoises et Vaudois ont manifesté leur volonté. Le comité refuse que le débat démocratique soit escamoté et que l’ensemble des arguments développés contre le projet soit réduit au seul aspect du toit. Le respect des procédures démocratiques et les droits des citoyens sont encore plus importants que la forme du bâtiment abritant le Grand Conseil.

    Se voulant constructif face à la multiplication des propositions et des procédures, le comité demande à l’unanimité une décision formelle du Conseil d’Etat. Il sera alors possible d’apprécier les modifications du projet dans le cadre d’un mandat clairement défini. Il va de soit qu’un éventuel nouveau décret devra se différencier substantiellement du projet combattu par référendum sinon il y aurait lieu de parler d’un véritable “Rosebud”(pour ne pas dire tripatouillage) institutionnel contournant la Constitution vaudoise. Tous les référendums à venir pourraient en pâtir.

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