Par le petit bout de la lorgnette –  Les antennes américaines de Béatrix Dussane (1888-1969)


PAR SANTO CAPPON

Évoquons aujourd’hui le destin de la grande comédienne et inspiratrice que fut Béatrix Dussane ! En abordant un aspect mal connu et peu visité de nos jours, celui de son engagement pédagogique vers les USA. A la lueur d’un document manuscrit jamais répertorié, que j’ai pu exhumer et acquérir au détour d’une archive privée.

Résumons tout d’abord : engagée dès 1903 à la Comédie-Française, cette passionnée de théâtre y excella très vite en tant que comédienne. Durant la Première guerre mondiale et en compagnie de Sarah Bernhardt (1844-1923), elle fut engagée dans le Théâtre aux armées pour y présenter des œuvres patriotiques, mais également des textes pacifistes. Et dès les années 20, elle rayonna aussi bien en qualité de conférencière qu’en collaborant notamment avec différentes revues. Dès 1937, elle fut nommée Professeure au Conservatoire d’Art dramatique de Paris. Parmi ses élèves qui deviendront eux-mêmes célèbres, citons pêle-mêle Sophie Desmarets, Robert Hirsch, Michel Bouquet, Maria Casarès, Serge Reggiani, Daniel Gélin, Gérard Oury, Michel Le Royer, Alice Sapritch et tant d’autres. Quant au “chahuteur” du Conservatoire que fut Jean-Paul Belmondo et soit dit en passant, il choisit un jour d’associer son nom à celui de cette grande Dame en improvisant in situ et en solo, une séance de foot fleurant l’irrespect : le ballon rond fut remplacé par la toque en vison que Mme Dussane avait oubliée sur place !

Mais revenons au document annoncé (non daté), que Béatrix Dussane rédigea sous une forme précise : lettre de recommandation au bénéfice d’une élève américaine particulièrement méritante. En voici le texte :

CONSERVATOIRE AMÉRICAIN – Palais de Fontainebleau (Seine & Marne)

Miss Janet Seigel a suivi mon cours principal de deux mois au Conservatoire américain de Fontainebleau, sur l’Histoire du spectacle en France, et pendant le même temps elle a fait avec moi en leçons particulières une lecture expliquée de Rabelais. Ce texte ancien est réputé à juste titre difficile, même pour des étudiants français.

J’ai vivement apprécié le travail de Miss Janet Seigel, son réel savoir, et la juge tout à fait capable de suivre avec succès, à son retour aux Etats-Unis, un cours supérieur de français. 

Elle a été certainement la meilleure de tout le cours de cet été.

B. Dussane de la Comédie-Française, Professeur au Conservatoire National,  Professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Sèvres, Professeur au Conservatoire Américain de Fontainebleau, (Visiting Professor Middlebury 1938).

6, Bd Voltaire  Paris 

C’est dans l’aile Louis XV du Château de Fontainebleau qu’avait été installé en 1920 le Conservatoire américain. Avec des équipements uniques, comme le Théâtre impérial Napoléon III. Institution essentiellement vouée à la formation musicale. Avec des enseignants tels que Maurice Ravel, Camille Saint-Saëns, Henri Dutilleux, Sviatoslav Richter, Yehudi Menuhin, V. Rostropovitch, Igor Stravinski, Arthur Rubinstein et Leonard Bernstein. Initialement les cours se concentraient durant l’été pour une période de trois mois puis essentiellement au mois de juillet. La plupart des élèves se destinaient à l’enseignement des arts aux Etats-Unis. 

Mais une approche enseignée du théâtre faisait aussi partie du jeu, avec notamment Béatrix Dussane aux manettes. Qui avait à cœur de voir diffusée, de cette manière-là, la culture française aux USA. On le rappelle trop peu souvent, dès lors qu’est évoquée l’histoire “très musicale” de ce Conservatoire.

Par ailleurs et comme elle le mentionne ici dans son “pedigree”, elle fut engagée aux USA en 1938, en tant que “Visiting Professor” à Middlebury dans le Vermont. Elle traversa l’Atlantique sur le paquebot Normandie. Toute satisfaite de pouvoir côtoyer la jeunesse américaine et de l’évaluer, elle donna un cours sur Molière et son temps, puis présenta une conférence sur cet auteur ainsi que sur d’autres, aussi célèbres et représentatifs du théâtre français. La “Summer French School at Middlebury College” servit de cadre à de telles interventions. Le Professeur André Morize de Harvard dirigeait alors cette école. Plus que satisfait par les prestations en 1938 de Béatrix Dussane, il usa de toute son influence pour qu’elle revienne à Middlebury à l’été 1941. Dans ce but, il lui envoya un télégramme. Madame Dussane  accepta cette perspective, “sous réserve d’insurmontables difficultés de voyage”. La guerre empêcha effectivement la réalisation de cet échange renouvelé.

Document inédit propriété de Santo Cappon.

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