Tribune libre – De déclin en déclin


Poursuivant notre logique d’éviter les autoroutes françaises payées par les citoyens et bradées par Sarkozy aux membres de sa caste, nous avons choisi pour notre retour de vacances d’été l’axe ouest-est au long des routes nationales et départementales. Ce qui nous a amenés, mon épouse et moi, dans une petite ville de la région Bourgogne-Franche-Comté que nous avions déjà visitée à plusieurs reprises il y a quelques années.

Pittoresque, avec son pont sur la Loire, son prieuré du XIe siècle, ses rues pavées entre des maisons anciennes, elle avait conservé, dans notre souvenir, cet attrait que procure l’aura d’un présent chargé d’Histoire dont les traits sont visibles aux âmes que l’acharnement woke n’a pas encore contaminées. Fière de son titre de « ville du livre », elle arborait, à une dizaine d’exemplaires, de ces petites librairies ou mieux encore de ces antres de bouquinistes susceptibles d’offrir des trésors. C’est dans l’un ou l’autre d’entre eux que je découvris des auteurs, hommes mais plus encore femmes, dont les œuvres oubliées depuis longtemps peuvent servir d’étalon au véritable talent d’écrivains dont il n’existe plus depuis belle lurette l’équivalent aujourd’hui. Étions-nous pris d’une petite faim ? Des restaurants sans prétention l’apaisaient avec cette qualité si caractéristique de l’art culinaire français. Artisans et créateurs parsemaient l’enchaînement des bâtiments, tandis que les pèlerins sur le chemin de Compostelle étaient accueillis pour un repos revigorant.

Nous réjouissant de renouer avec cette petite cité de carte postale, nous fûmes d’emblée blessés par les cicatrices qu’y ont laissé les blessures dues aux politiques de trahison des gouvernants actuels. Partout, des moellons menaçant de tomber sur les passants, des murs lépreux, des façades moisies, des rues dépavées ou aux pavés à demi-fracassés. Le prieuré et son église ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, dont les murs doivent être soutenus par des étais. Le principal restaurant où nous nous étions délectés a fermé, de même que les bouquinistes. L’un des seuls qui subsiste se contente d’une affiche sur sa porte mentionnant un numéro de téléphone où appeler si l’on est amateur de livres anciens. Le seul hôtel marquant, il y a peu encore majestueuse construction dans le style des villes d’eau, a obstrué ses fenêtres et ses portes de stores délavés, tandis que le jardin qui mène à la réception est négligé, les herbes y poussant dans un désordre qui évoque fort bien la France de ce premier quart du XXIe siècle, de Sarkozy à Macron.

Dire que nous étions pressés de retrouver Fribourg, quitté trois mois plus tôt, n’étonnera personne. Nous ne nous attendions pas, cependant, à devoir considérer notre ville du bord de Loire comme une préfiguration de ce que ma ville natale est devenue.

Nous y pénétrâmes en début de soirée pour découvrir, dès le rond-point de la route de Villars, un trente à l’heure péremptoire. Nous descendîmes l’avenue de Beauregard dans un ralenti dont nous peinâmes à saisir la nécessité, croisant quelques rares véhicules qui semblaient frappés par un mal inconnu.

Le lendemain, nous découvrîmes l’horreur.

Partout, du boulevard de Pérolles à la route du Jura, de la route des Alpes à l’avenue du Midi et son prolongement de la route de la Glâne, la distance paraissait avoir doublé. Un défilé de zombies se traînait sans raison, rappelés ici ou là à la logique infantilisante d’une pancarte indiquant qu’ici régnait l’Amour, un « love » s’inscrivant dans le 0 du 30 à l’heure. Un monde naïvement angélique, issu de l’imagination de décideurs peints en vert, présidait à cet univers artificiel, totalement détaché de la réalité. Réalité dont les décideurs ont néanmoins conservé quelques éléments puisque certains quartiers bénéficient à des heures cruciales de bornes interdisant tout accès aux automobilistes non détenteurs d’une télécommande, ce qui procure à leurs habitants sept heures et demie de tranquillité par rapport aux autres quartiers, pourtant largement majoritaires dans l’ensemble de la ville. Effet du hasard, ces privilégiés qui, les heures de nuit étant naturellement paisibles, sont donc protégés du bruit durant les deux tiers de la journée, figurent parmi les notables : avocats, notaires, médecins, conseillers politiques, gens de finance, institutions au statut par ailleurs peu clair.

Le délire idéologique des autorités de la ville atteint un acmé dans deux avenues, celle de Gambach et celle du Moléson. Là, des voitures stationnent en toute légalité au milieu de la chaussée, décalée par la présence d’une large piste cyclable entre elle et le trottoir. Spectacle d’autant plus incompréhensible que sur un trajet d’une demi-heure à travers la ville, je ne vis que deux vélos. On sacrifie ainsi la fluidité de la circulation motorisée au bien-être relatif de moins de 3 % des usagers.

Sur les visages des automobilistes, ceux qui ne sont pas déjà résignés, c’est-à-dire la majorité d’entre eux, se lit un mélange d’agacement et de découragement. On y voit l’incompréhension face à ces pertes de temps, ces bouchons multipliés sur les grands axes, les autres étant souvent obstrués ou interdits. Arguerait-on d’un quelconque bienfait écologique que l’on se heurterait à un fait indéniable : tous ces moteurs de voitures et de camions à l’arrêt, en attendant que le feu vire au vert, polluent deux fois plus et deux fois plus longtemps que dans une file fluide. Afin de rejoindre mon domicile ou d’aller de celui-ci à certains points qui me sont habituels, il m’est imposé tant de détours que la dépense d’essence qui en résulte, la vaporisation dans l’air de gaz d’échappement et le temps passé dans la circulation vont à l’encontre du but écologique proclamé.

La fluidité générale est d’ailleurs grandement compromise par les obstacles presque sadiques mis en place par les autorités. Au long d’un interminable trajet à une allure d’escargot surgissent des travaux, tous en même temps par toute la ville, comme s’il n’avait pas été possible de les répartir adroitement dans le temps. Des rétrécissements déraisonnables semblent n’avoir d’autre cause que celle de vouloir accabler les automobilistes. Ainsi à Beauregard, où un trottoir d’une largeur aussi inutile qu’extravagante, non seulement force les voitures à attendre derrière chaque bus à l’arrêt, mais la voie qui mène à la gare est partiellement entravée par des semblants d’agrès, ce qui oblige le conducteur à surseoir plus longtemps à son intention d’obliquer en direction de l’église Saint-Pierre. Les indications, d’autre part, sont en certains endroits floues, de manière que le conducteur n’est pas très sûr de s’y voir imposer un trente à l’heure ou un cinquante.

Enfin, au grand soulagement de l’automobiliste sensé, le passage espéré dans une autre commune, Villars-sur-Glâne ou Marly, fait souffler un vent de liberté. Cela se voit au léger bond en avant des véhicules pénétrant à nouveau dans un monde normal et raisonnable.

Déjà de nombreux commerces périclitent, car l’on part faire ses courses à l’extérieur de la ville. Pérolles a vu au cours des années son activité décliner. Il fut un temps où du matin au soir et de la gare aux Charmettes cafés, restaurants, la rue elle-même frémissaient d’activité. Aujourd’hui, il est pratiquement impossible de boire un verre à partir de sept heures du soir. Des espaces entiers, un peu partout, sont quasi déserts, qui étaient jadis florissants et vivants. Fribourg finira-t-il par ressembler vraiment à ma petite cité bourguignonne ?

Malheur à la ville dont les princes sont des fanatiques dogmatiques et idéologiques.

Michel Bugnon-Mordant, Fribourg

Il y a encore une marge pour “faire mieux”, comme ici à Lausanne, rue Beau-Séjour.
Photos le Médusé.

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2 commmentaires à “Tribune libre – De déclin en déclin”

  1. de Pontbriand Lionel 6 novembre 2023 at 18:39 #

    La FRANCE a perdu son âme, ses valeurs traditionnelles, ses monuments historiques, ses églises en péril, son honneur dirigé depuis la mort de Pompidou par des poltrons sans foi ni loi dans le déni et le reniement de notre civilisation judéo-chrétienne par l’islamisation, l’abandon de ses héros morts pour la FRANCE, de ses écrivains, de sa culture. Le déboulonnage des statues de la VIERGE désacralisée correspond bien une laïcité égarée aveuglée par l’ignorance de son
    passé et de son histoire spirituelle tourmentée. Effectivement dès que l’on sort des tracés d’autoroutes à racket pour emprunter des nationales silencieuses, on sent dans la voiture un vent de liberté avec un parfum campagnard de foin mélangé à une odeur lactée comme en Gruyère, qui nous rapproche de FRIBOURG au ralenti de la Bénichon sans les cloches des vaches au son des clochettes des vélos électriques à la même allure que les voitures électriques car nous devons admirer la ville de Fribourg et les vitrines des magasins.

  2. Yann Le Houelleur 6 novembre 2023 at 19:31 #

    Le regard d’un Suisse sur la France est riche d’enseignements. En tout cas, vous avez vu juste : l’Hexagone devient méconnaissable, et des pans entiers de nos régions s’effilochent.

    Conséquence, non seulement, d’un appauvrissement découlant en grande partie de la désindustrialisation mais aussi de la difficulté croissante des collectivités locales à équilibrer leur budget. Dure équation à résoudre : faut-il investir dans le social, l’aide aux citoyens les plus défavorisés ou financer des projets de rénovation du patrimoine ? Or, il faut aussi prendre en compte l’effondrement du niveau culturel de nos édiles et élites, un effondrement qui soit-dit en passant touche toutes les strates de la population.

    Au rythme où vont les choses, la France ne tardera pas à perdre son statut de première destination touristique… Même cette capitale dont tant de gens, à travers le monde, rêvent de découvrir les sites renommés (Tour Eiffel, Notre-Dame, Montmartre, etc.) se met à décevoir nombre de touristes effarés par le manque de chaleur humaine. Pas plus tard que le dimanche 5 novembre, un serveur dans une brasserie à proximité de l’Opéra m’a dit : « Les visiteurs étrangers ont l’impression qu’ils sont tout juste bons à plumer ! Dans certains restos huppés de… Montmartre, on fait payer les cocktails quinze euros… »

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