A Paris, la marche contre l’antisémitisme a obtenu un succès inattendu


PAR YANN LE HOUELLEUR, à Paris, texte et photos

Hormis l’une des plus importantes communautés musulmanes en Europe, la France héberge la plus étoffée des communautés juives, soit 600.000 personnes. Et il ne fait pas forcément bon être juif au pays des Lumières, surtout depuis qu’Israël s’est juré de décimer le Hamas à la suite du carnage commis par celui-ci le 7 octobre. (Pour mémoire, au matin de cet effroyable samedi, des commandos du Hamas ont fondu sur plusieurs kibboutz, une attaque minutieusement préparée, causant la mort d’au moins 1.400 civils et prenant en otage 220 personnes, parmi lesquels de nombreux binationaux et étrangers.)

Le conflit ainsi déclenché au Moyen-Orient a eu de vives répercussions en France où l’antisémitisme a flambé : un millier (selon Paris Match) d’actes antisémites en un mois, deux fois plus qu’au cours de 2022. Non seulement des tags se sont-ils propagés mais des citoyens dits de « confession juive » ont été inquiétés voire harcelés. Les médias se sont faits l’écho de la peur qui taraude les membres de la communauté juive, à tel point que nombre de familles ont décroché la traditionnelle Mézouzah placée à la porte de leur résidence et que dans les rues les kipas se raréfient.

Il était temps de dire « Stop » à l’insécurité qui étreint les juifs en France en donnant le coup d’envoi d’une marche dans les rues de Paris où, ces derniers temps, soit-dit en passant, se sont succédées des manifestations contre les bombardements de Tsahal dans la bande de Gaza.

Une tempête politique – Et c’est le dimanche 11 novembre que les Français désireux d’apporter leur soutien à la communauté juive ont été invités à se fondre dans un cortège sur la rive droite. A l’origine de cette initiative, le président du Sénat, Jean Larcher, et la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, ne s’attendaient pas à ce qu’une tempête politique fasse soudain rage. Aussitôt, les élus de la France Insoumise (LFI) ont déclaré qu’ils ne s’associeraient pas à cette marche, en vérité pour la raison suivante : nombre de leurs députés sont élus dans les banlieues où se concentre une forte population musulmane. Sous la houlette de Jean-Luc Mélenchon, les Insoumis ont dérivé vers l’extrême-gauche, et plusieurs de leurs députés ont tenu, effectivement, des propos considérés comme antisémites. Le principal rival de LFI, le Rassemblement National (RN), a profité de l’occasion pour annoncer qu’il conviait ses adhérents à prendre part à une telle marche dominicale. Il s’en est suivi une polémique, alimentée aussi bien par les partis de la majorité présidentielle que par… LFI, sur les prétendues racines antisémites du RN dont l’un des fondateurs, le père de Marine Le Pen, en l’occurrence Jean-Marie Le Pen, a longtemps tenu des propos de nature raciste. Le but de ceux qui ont remué le couteau dans la plaie de l’histoire : jeter l’anathème sur la plus importante force d’opposition à l’Assemblée nationale, de manière à empêcher le RN de se joindre à cette marche qui devait, initialement, être déconnectée de toute idéologie !

Un sentiment d’exaspération – La France aurait-elle la classe politique la plus mesquine et la plus impulsive au sein des pays démocratiques ? C’est probable. A quelques jours de la marche, il était à craindre que les Français soient dissuadés d’y participer à cause de chamailleries aussi ridicules. Malgré les plus sombres prédictions, ce sont finalement plus de 100.000 personnes qui se sont massées sur l’Esplanade des Invalides et dans les rues environnantes avant de se coaguler pour constituer un impressionnant cortège, avec pour destination – tout un symbole ! – le Sénat. (Par ailleurs, des marches de moindre envergure se sont déroulées dans plusieurs villes de province.) Certaines pancartes résumaient bien l’exaspération ressentie par l’ensemble des participants face au processus de fragmentation menaçant une France à bout de souffle où de sourdes haines se déchaînent : « Dimension de la psychanalyse contre l’antisémitisme » ; « La paix dans le monde, la paix pour tout le monde » ; « Refus inconditionnel de l’antisémitisme, soutien inconditionnel de notre République laïque ».

Sympathie pour la culture juive – Les participants à cette marche venaient aussi bien des quartiers huppés de Paris que de la banlieue, mais il était à déplorer que peu de musulmans se soient mêlés à la foule. Nombre de personnes qui s’étaient ainsi déplacées témoignaient leur sympathie pour « la culture juive », à l’instar de cette dame, bon chic bon genre, qui évoquait les fréquents séjours qu’elle faisait en Israël : « C’est un pays formidable, où je me sens bien parce que d’emblée on respire un air de liberté avec beaucoup de fantaisie et de joie de vivre. Les Israéliens ont constitué, dans cette région, un Etat unique, avec un système de santé publique qui fonctionne très bien. » Lorsqu’on discutait avec les gens, un sentiment d’affection et d’admiration pour les juifs se dégageait : « Ils ont tant donné à la France, que ce soit dans les arts, la littérature, les sciences, etc. »

Ce dimanche-là fera date, à n’en pas douter, dans l’histoire de la France. Aucun incident grave n’a émaillé une telle marche, dans un pays où tant de manifestations donnent lieu à des scènes de violence, en particulier l’intrusion, dans les cortèges, de black blocs pillant les vitrines des magasins et le mobilier urbain. Lors d’un débat, sur le plateau d’une émission transmise par CNews, une intervenante a relevé que pour la première fois depuis longtemps, lors d’une manifestation sur la voie publique, des policiers avaient été applaudis… On croit rêver dans une atmosphère habituellement cauchemardesque.

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Un commentaire à “A Paris, la marche contre l’antisémitisme a obtenu un succès inattendu”

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    Santo Cappon 13 novembre 2023 at 09:48 #

    Excellente analyse, où il apparaît qu’en France il est encore possible de manifester sans vociférer ni détruire le mobilier urbain, sans inonder le pavé d’anathèmes gluants et de slogans incendiaires. Pour dire également que paradoxalement, une telle marche silencieuse suivie par tant de citoyens, dégage plus d’énergie et d’émotion qu’un horde d’excités ne comprenant rien au fonctionnement d’une démocratie.

    Si peu de musulmans se sont trouvés là, c’est, aux dires d’un imam présent à la manifestation, par peur d’être considérés comme des “traîtres” par certains de leurs coreligionnaires.

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