Chroniques indiennes (5) – New Delhi – Chandigarh, passé-futur-présent


PAR CAMILLE FOETISCH, Reportage texte et photos

Delhi, en février, c’est 23 degrés à midi et à l’extérieur, 11 degrés la nuit et à l’intérieur, en plus de la pollution, partout et tout le temps. Le soleil est presque toujours voilé. Pour les poumons délicats et les systèmes immunitaires ra-pla-pla, c’est redoutable. Et pourtant, cette ville chaotique, polluée, et dont on dit qu’elle est dangereuse pour les femmes, ne m’est pas antipathique. Tout de même, au fil des années, et des passages dans ses recoins, elle m’apparaît de plus en plus difficile à vivre. Prendre un taxi – ou plutôt en trouver un, devient mission impossible. Les rares taxis disponibles dans la rue « ne sont pas fiables, « on ne sait jamais où ils risquent de t’emmener », m’avertit mon ami indien, commerçant en articles ménagers et père de jumeaux. Il faut disposer d’une application Uber ou « Blue Taxi » sur son téléphone mobile. Et faire preuve de patience. Et les conducteurs de petits tuk-tuk jaunes et verts ne parlent pas anglais, il faut donc avoir la destination rédigée en hindi. S’ils peuvent se faufiler dans les rues les plus étroites, ils ne vont jamais très loin. Se déplacer à pied? Les distances sont conséquentes et la plupart des trottoirs sont impraticables (défoncés, occupés, jonchés de débris plus ou moins infects, ou inexistants).

Rajan m’accompagne, on est en retard

Quelques jours à Delhi, une soirée glaciale (14 degrés). Mariage dans les jardins d’un Sheraton, un peu de shopping et je pense qu’il est temps d’aller faire un tour dans une ville qui m’intrigue depuis longtemps, Chandigarh. 

Gare de New Delhi, 5 h du matin, jour de semaine, c’est la foule, mon ami le commerçant, Rajan, m’accompagne, on est en retard – il est resté endormi – on quitte le taxi pris dans un embouteillage à 300 m des quais et on se met à courir entre les voitures, les motos, les vélos – non, heureusement, il n’y a pas de vaches – et autres personnes pressées, il fait encore nuit, j’ai peur de perdre de vue Rajan dans cette foule, on monte, descend des volées d’escaliers et ouf…. le train est là, on a à peine le temps de monter dans un wagon que le train démarre. Près de 3 h pour rejoindre Chandigarh. Confortable, la 2e classe, service de thé et biscuits, puis un peu plus tard, un petit déjeuner copieux. 

Gare de Chandigarh. Rien à voir avec celle de Delhi. A l’extérieur, des arbres et des nuées d’oiseaux, quelques taxis et tuk-tuk 🛺 nous proposent de nous amener en ville. On trouve un hôtel dans ce que nous croyons être le centre, « Secteur 17 ». Il fait beau, sec, pas trop chaud, on longe de larges avenues bordées de verdure, les automobilistes sont disciplinés, ne klaxonnent pas à tout bout de champ, bref, c’est un autre monde. Un monde où l’on entend les oiseaux chanter, et pas seulement le cri rauque des corbeaux  tournoyant dans le ciel ou se chamaillant pour un morceau de Dieu sait quoi! L’architecture des immeubles semble avoir retenu l’influence du Corbusier, donnant l’impression d’un monde en briques et colonnades blanches, que n’affecte pas la pollution.

Nous traversons des places immenses, presque désertes

La lumière du matin est brillante, soyeuse, promenade dans le Secteur 17 à la recherche d’un marché. Nous traversons des places immenses, presque désertes. Quelques jeunes discutant et des enfants qui jouent, au milieu, quelques magnifiques grands arbres, tout donne une sensation de paix et d’harmonie. La ville conçue par Le Corbusier est quadrillée en quelque 60 secteurs, et l’architecte franco-suisse a donné au plan directeur de la ville la forme d’un corps humain avec au nord , la tête avec le complexe du Capitole et la célèbre « Main ouverte » en métal en forme de colombe, main ouverte pour donner et recevoir, symbole de paix, elle est devenue celui de la ville, symbole de la paix retrouvée après les horreurs de la Partition. Le cœur en est le centre, les poumons sont représentés par la Vallée des plaisirs et une série de jardins qui s’étendent le long d’une faille, du nord au sud, les membres sont les différentes institutions culturelles et éducatives. 

Toute la magie d’une grande humanité, le complexe du Capitole rend hommage au Corbusier. Des bâtiments en usage aujourd’hui pour la plupart, ils restent spectaculaires et très modernes dans leur conception et la technologie utilisée – le bâtiment des deux parlements (Punjab et Haryana, la ville est située sur la frontière entre les deux Etats), la Cour suprême, le Secrétariat, la Tour des ombres (dans laquelle le soleil ne pénètre jamais, l’été est brûlant dans ces contrées), le complexe fait partie depuis 2016 du patrimoine mondial de l’Unesco. Une architecture à la fois très cérébrale et pourtant conçue complètement pour le confort et le développement, même l’épanouissement de l’homme. 

Jawaharlal Nehru a appelé un architecte franco-suisse

Les artistes interrogés par les deux cinéastes Thomas Karrer et Karin Bucher dans leur documentaire « Le Corbusier à Chandigarh – La force de l’utopie » (2023) attestent de cet art de vivre, de cette ouverture à l’autre, aux autres, si caractéristiques de Chandigarh. 

Etonnant que Jawaharlal Nehru ait appelé un architecte franco-suisse, Le Corbusier, pour créer une ville nouvelle, une nouvelle capitale, incarnant la liberté reconquise de l’Inde! « Que cela soit une ville nouvelle, symbole de la liberté de l’Inde, que les traditions du passé n’ont pas freinée…une expression de la confiance de la Nation dans l’avenir », écrivait J. Nehru. 

Au fil de notre promenade dans la ville, nous tombons sur un haut lieu de l’art brut : le Jardin de pierres ou « Rock Garden » de Nek Chand. Nek Chand Saini, un fonctionnaire du gouvernement a récupéré, conservé, des déchets et débris en tous genres – vaisselle, sanitaires, électricité, bouts de ficelle et bouts de bois, céramique cassée, etc. et les a utilisés pour construire, en toute illégalité, un monde fantastique fait de personnages, de murs, fontaines, escaliers que le visiteur peut parcourir sur 16 hectares. Nek Chand a commencé à construire son jardin extraordinaire dans un petit coin près de chez lui en 1957, et a continué jusqu’en 1976.

Un homme seul fume

Le soleil descend sur la ville et son lac artificiel, bordé de collines, le ciel est rose en harmonie avec les couleurs de la cité capitale, et la nuit suit, très vite. Nous partons à la recherche d’un restaurant. Nous traversons des zones sombres, un homme seul fume, on n’aperçoit que le bout rougeoyant de sa cigarette, des jeunes filles habillées à l’occidentale rigolent, pas de resto à l’horizon, nous finissons dans une pâtisserie sympathique qui sert dans un coin, à côté des tiramisus,  des dosai, papadams et idli. Une cuisine typique du sud de l’Inde, celle qu’on trouve tous les jours à … Auroville (lire nos chroniques précédentes).

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