Le correspondant d’infoméduse à Lima raconte son rapatriement du Pérou en Suisse


PAR PIERRE ROTTET

Si l’on m’avait dit un jour que j’allais me faire rapatrier en Suisse depuis un quelconque pays, du Pérou, en l’occurrence… Cette péremptoire réponse eût été mienne: moi ? Impossible !

Et pourtant ! Il aura fallu le tueur corona pour que l’actualité m’apporte un démenti. Oh, ce n’est pas que je craignais exagérément ce « machin »: s’agissant du nombre de malades et de morts, la situation est plutôt meilleure au Pérou qu’en Suisse. Mais au train où vont les choses, avec un couvre-feu et des frontières plus fermées qu’un banquier le serait en face d’un SDF qui s’adresserait à lui pour un crédit, je risquais fort de manquer mon été à Fribourg. Et cela je ne le désirais à aucun prix ! D’autant que l’été à Lima commence à se faire souvenir. Enfin, un peu !

Si bien que quand j’ai appris qu’un nouvel avion – le 3ème au départ de Lima – serait affrété par la Suisse, j’ai sauté dedans. Enfin presque ! Après m’être inscrit pour mon retour en Suisse, 15 jours avant les dates qui sont les miennes habituellement. Un rite infaillible lorsque l’hiver prend ses quartiers en Suisse. De moins en moins je le concède.

Pour tout dire, je ne suis pas mécontent de ce choix. Moi qui, des centaines et des centaines de fois me suis fait « enavioner » dans des carlingues, jamais, croyez-moi, je n’ai vécu semblable expérience. Riche en émotions, en découvertes. Alors je mettrai critiques et indignations au rancart. Histoire de tirer bien bas mon chapeau face à l’efficace et solidaire performance des personnes qui ont rendu possible ce rapatriement (lire l’interview de Roland Brun). 

Récit.

Lundi 13 avril, 6h45. Un taxi nous emmène au Colegio Pestalozzi. Nous? Arnaud, mon petit-fils, et moi. Pas de chance pour Arnaud, en vacances confinées. Adieu les escapades tous azimuts au Pérou.

Les rues de Lima sont vides (photo Arnaud Sapin). Désertes, hormis pour les personnes porteuses d’un laisser passer. Peu nombreuses. Quelques bus fantômes emmenant des travailleurs de la santé, des magasins d’alimentation ou des banques. En une dizaines de minutes, le temps du trajet, le taxi est arrêté à deux reprises par des militaires en armes. Le chauffeur – comme nous – est muni du précieux sésame. A la différence près que les nôtres sont porteurs du sceau de l’ambassade de Suisse.

7 heures. Nous sommes en avance par rapport aux retardataires. Même si déjà pas mal de monde se presse à l’extérieur des salles de classe du collège. Et notamment dans un immense espace consacré au basket ou au volet. Les gens sont dirigés en direction de plusieurs tables, ordre alphabétique oblige, pour y recevoir le précieux document de voyage délivré par l’ambassade, avant de se retrouver à siroter thé ou café, de quoi se sustenter.

11 heures. Huit bus sortent de l’enceinte de l’école. En file indienne, sous les regards surpris des quelques rares passants, avec un motard de la police routière pour les escorter et veiller à ce que demeure intacte ladite file en bloquant aux carrefours le peu de circulation. Les bus sillonnent en silence les avenues d’une ville fantôme, à l’arrêt ou presque. Après une heure de route la cohorte parvient au Callao, le grand port de Lima, aux abords de l’aéroport militaire. Changement de décor, avec, ici, une intense activité portuaire, pourtant tue par les médias. Vraiment intense, à en juger par le nombre de camions et de containers qui s’y rendent ou qui en sortent. Le monde ne s’est pas arrêté, au Pérou. Lima doit manger ! Et même vivre !

Les montres marquent la demi-journée. Et des poussières ! Les bus sont maintenant à l’arrêt. Dans l’attente du feu vert des militaires. On nous avait prévenus ! 

13 heures 45. Le bus de tête est enfin autorisé à pénétrer dans l’immense enceinte de l’aéroport militaire. Suivi des 7 autres. Les hommes en armes ne manquent pas. Le côté irréel du voyage prend ici toute son ampleur. Les huit bus évoluent à travers l’aéroport, au milieu d’avions de combat et civils venus de pays voisins pour effectuer d’autres rapatriements vers d’autres horizons. Au détour de bâtiments militaires, apparaît alors l’appareil de la compagnie Edelweiss. A moins de 300 mètres de là, un immense chapiteau a été dressé pour accueillir dans huit files bien séparées passagers et bagages. 

Aucun comptoir pour l’enregistrement des rapatriés et des bagages. Pas de billet d’avion. Pas de places attribuées ni de numéro de porte. Pas de scanner non plus. Les noms des passagers figurent sur une longue liste présentée au contrôle. Un autre monde. Des employés de l’immigration apposent sur les passeports le sceau attestant de la sortie du Pérou des voyageurs. Irréels instants pour une improbable expérience. Unique sur le tarmac de cet aéroport militaire. Qui ne se revivra sans doute plus jamais.

Le personnel de l’ambassade s’active pour canaliser le monde, recueillir le précieux sésame donnant droit à monter dans l’avion. Des employés d’une société civile péruvienne s’en viennent délester les voyageurs de leurs bagages. Le tout sous l’oeil de militaires péruviens. Et même, de deux personnes attachées à l’ambassade d’Allemagne, dont l’un en uniforme militaire. Dans le cadre de la coopération, nous dira-t-on.

Il est un peu plus de 15 heures, le zinc quitte le tarmac, pour un vol de plus de 12 heures 30 à destination de Zurich… Après avoir survolé l’aéroport de Lima, d’où les rapatriés pensaient repartir. Mais c’est là une autre histoire.

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