Les dossiers d’infoméduse – Chaos ferroviaire, au départ il y avait un projet génial, nommé Swissmetro


PAR CHRISTIAN CAMPICHE

A Toulouse, le projet de train supersonique Hyperloop battrait de l’aile, relations-nous il y a quelques jours dans ces mêmes colonnes. Qu’en est-il réellement en Suisse, plus spécialement à l’EPFL, où des chercheurs planchent sur le train de l’avenir, une année après l’arrêt des travaux de transformation de la gare de Lausanne. Un demi-siècle après le formidable espoir qu’apportait Swissmetro. Retour sur un serpent de mer en perpétuel devenir.

Lausanne, une vision maltraitée

Les malheurs de la gare de Lausanne ont commencé le plus « vaudoisement » du monde il y a une dizaine d’années. En ce temps-là, il est encore de bon ton de boire les propos de ses édiles la bouche en coeur. Le discours officiel est le suivant: la ligne ferroviaire reliant les deux métropoles lémaniques de Lausanne et Genève est saturée, il faut augmenter le rythme de circulation des trains, ce qui implique de vastes travaux d’élargissement des voies tant à Genève qu’à Lausanne. Des architectes, des urbanistes, des cheminots visionnaires imaginent une gare souterraine. Mais tandis qu’à Genève, le projet, porté par un maire de gauche, aboutit à enterrer les futurs quais pour épargner un quartier populaire, à Lausanne la solution s’enlise très vite dans un embrouillamini de procédures dont seuls ses édiles ont le secret. Spéculation immobilière et conflits d’intérêts font bon ménage dans un donnant-donnant entre le canton, la ville et les CFF, la compagnie nationale des Chemins de fer, propriétaire de la moitié des terrains aux alentours de la gare. Un musée est édifié à grands frais sur une parcelle attenante aux quais, des immeubles sont rasés, des oppositions balayées, le tout dans l’indifférence générale.

L’éphémère patinoire a laissé la place à des espaces ludiques et autres structures en bois. Devant la gare de Lausanne, il y a de tout, sauf des arrêts de bus et des places pour les taxis. Photo Le Médusé, 2023

Tant et si bien que les travaux de rénovation de la  gare de Lausanne, noeud ferroviaire, parmi les plus importants au coeur de l’Europe, démarrent en 2021. Doucement mais sûrement. Le Covid fait encore des ravages. La population se méfie d’autant moins que cela fait une décennie qu’on la prépare à la nécessité d’élargir les voies en prévision du grand saut démographique. Une région, le canton de Vaud, qui voit sa population exploser. Ne me demandez pas pourquoi, l’explication n’a jamais été donnée. Afflux de réfugiés? Exilés fiscaux? Toujours est-il que le nombre des habitants explose. Conséquence: des dizaines de milliers de pendulaires entre les deux métropoles lémaniques de Lausanne et Genève. Une infrastructure ferroviaire désuète, à des années lumière de la situation prévalant dans les grandes régions rivales de Suisse alémanique, Bâle, Zurich, Berne.

« Danger létal! » 

Badaboum! Il n’aura pas fallu plus d’une année pour que le savant échafaudage s’effondre. En juillet 2022, l’interruption des travaux retentit tel un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Les langues se délient, les documents se déplient. Au siège de l’Office fédéral des transports à Berne, on largue aujourd’hui le mot: danger létal. Ce qui veut dire que les travaux de la gare de Lausanne ont été entrepris alors que subsistait un risque mortel pour les usagers du train. La télévision suisse qui publie l’extrait d’un rapport de l’Office fédéral des transports attestant de la dangerosité du projet d’agrandissement de la gare de Lausanne ne va pas jusqu’à poser la question de la responsabilité. Elle aurait dû le faire. Car dans le marasme ambiant, rien ne permet d’affirmer que le chantier de la gare de Lausanne ne subira pas d’autres coups du sort. Condamnant la population à apprivoiser le mystérieux mécanisme des calendes grecques. 

Balayé, le projet de la gare de Lausanne devrait repartir sur de nouvelles bases. Le conseiller fédéral en charge des transports s’est rendu dans la métropole vaudoise en compagnie du directeur général des CFF. Peu a transpiré de la discussion qu’ils ont eue avec la ministre vaudoise Nuria Gorrite. Mais depuis un certain temps, on sent les tabous tomber. L’idée d’une gare souterraine refait surface si l’on peut dire. L’embêtant étant que le milliard à disposition ne sera pas suffisant. Pour le canton de Vaud, l’enjeu des prochaines élections fédérales se situera aussi à ce niveau. On aimerait bien que les candidats se mouillent sur ce dossier. Nul doute qu’ils ne se pressent pas au bataillon. Pour les motiver on peut leur certifier qu’ils n’ont rien à se reprocher. Il y a trente ans, la génération précédente a raté l’occasion de se profiler dans le projet du siècle, Swissmetro, un concept génial de ligne souterraine de train grande vitesse mû par sustentation magnétique. 

Au départ il y avait Swissmetro

Imaginé dès les années 70 par l’ingénieur vaudois Rodolphe Nieth, Swissmetro franchit un cap politique au début des années 90 grâce à l’éminence grise de l’économie genevoise Pierre Weiss et au député libéral tessinois Sergio Salvioni. Ces deux pionniers, morts aujourd’hui, imaginent Zurich à 15 minutes de Bâle et de Berne, la Suisse romande et la Suisse italienne désenclavées. Swissmetro est la panacée en termes de transports est-ouest et nord-sud, une conception environnementale visionnaire à l’heure où le réchauffement climatique ne fait pas encore les gros titres lancinants.

Mais le wagon Swissmetro ne s’accrochera jamais au convoi des CFF. Il disparaît peut à peu des radars, on ne saura jamais pourquoi, à vrai dire. La société qui parraine l’aventure est dissoute en 2002, l’avorton confié à l’EPFL. Fondée en 2017, une communauté d’intérêts, SwissMetro-NG, entretient un tant soit peu le mythe. Rien n’est définitivement perdu mais le rêve est enterré. Celles et ceux qui, pendant 30 ans, ont cru au Swissmetro enragent en se disant que la Suisse est passée à côté de l’histoire.

A l’arrivée y aura-t-il l’hyperloop? 

Ce terme-sucette – nous sommes à l’ère de l’Avenir radieux, ne l’oublions pas – désigne un TTGV, acronyme de train à très grande vitesse. Sous vide, il est prévu qu’il atteigne une fois et demie la vitesse du son. On en parle depuis une dizaine d’années. Plus exactement c’est  M. Elon Musk qui en parle. Le démiurge de la tech sud-africain, celui dont l’ambition est de sauver l’humanité, ni plus ni moins, lance l’idée en Californie et la propulse là où s’emballent les compétences, à Toulouse, en Slovaquie, en Chine, en Corée, à Dubaï. Et pour finir … à Lausanne.

Le Médusé n’a pu résister à la tentation de se rendre sur place. Sur le campus ondulant d’Ecublens dessiné en 1995 par les architectes japonais Kazuyo Sejima et Ryūe Nishizawa, s’activent une quinzaine d’étudiantes et d’étudiants sous la responsabilité du professeur Mario Paolone, directeur du Laboratoire des systèmes électriques distribués de l’EPFL. L’objet de toute leur attention? Un anneau expérimental en fonte d’aluminium de 40 mètres de diamètre et 120 mètres de long, bourré de capteurs (photo © Murielle Gerber/EPFL). « L’hyperloop sera viable d’abord pour le transport des marchandises. Il est destiné à relier des pays plutôt que des villes ». Chef de projet, Georgios Sarantakos n’est pas peu fier du troisième rang obtenu par l’EPFL lors de la compétition Space X, organisée par Elon Musk. « Il faut voir que nous participons depuis 2018, ce résultat a été réalisé en un temps record ». 

Le jeune ingénieur ne se lasse pas de contempler le prototype doté de rails. «C’est un secteur très nouveau, impliquant une collaboration entre les différents laboratoires de l’EPFL. Le défi est de parvenir à une accélération suffisante pour entraîner la lévitation». Une première expérience sous vide sur une distance de 1,5 kilomètre sera tentée prochainement. L’hyperloop ne doit pas dépasser une vitesse de 700 kilomètres à l’heure. A l’horizon 2030, l’objectif étant bien de contribuer au transport du futur, un cargo souterrain entre Genève et Saint-Gall, une révolution au potentiel énorme, susceptible de placer le train au niveau de l’avion.

Georgios Sarantakos présente la maquette du projet hyperloop aux journées portes ouvertes de l’EPFL. Photo Le Médusé, 29 avril 2023

SWISSMETRO ÉTAIT TRÈS EN AVANCE SUR SON TEMPS

infoméduse: Swissmetro n’a pas été retenu pour différentes raisons, à l’époque. L’une d’elles est politique, à mon sens. L’autre, mais dans le fond les milieux scientifiques n’en ont jamais apporté la preuve formelle, était la sécurité lacunaire. Je me souviens que l’on parlait du problème des bouches d’accès à la surface. En quoi la technologie diffère-t-elle de Swissmetro? La fiabilité des matériaux joue peut-être aussi un rôle.
Georgios Sarantakos: Swissmetro était en général très en avance sur son temps. Au fil des ans, de nombreuses solutions novatrices ont été développées pour résoudre des problèmes qui n’existaient pas auparavant. Depuis, l’évolution des électroniques de puissance (grâce par exemple aux téléphones portables), la capacité des ordinateurs et l’industrie spatiale, nous ont permis d’avoir des solutions industrialisées qui peuvent être transférées à l’industrie de l’hyperloop. L’une d’entre elles est liée par exemple à l’accès à la surface, où nous pourrions envisager des solutions appliquées dans les vaisseaux spatiaux pour passer de la pression atmosphérique à un environnement sans pression.

Georgios Sarantakos, photo DR/EPFL

Une autre solution, sur laquelle nous travaillons à l’EPFL, concerne l’efficacité énergétique de l’ensemble du système. Celle-ci est directement liée au prix du billet et peut faire de l’hyperloop un concept viable. Il reste encore un long chemin à parcourir, mais il est technologiquement possible d’avoir une solution hyperloop. Ce qui reste valable, comme pour le Swissmetro, c’est le rôle que les décisions politiques joueront dans la promotion ou non de l’hyperloop. Pourtant, les technologies développées à l’EPFL pourraient même être utilisées dans les trains existants, pour justement améliorer leur efficacité énergétique et réduire leurs coûts d’opération. Propos recueillis par Christian Campiche

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3 commmentaires à “Les dossiers d’infoméduse – Chaos ferroviaire, au départ il y avait un projet génial, nommé Swissmetro”

  1. Manuela Adami 16 juillet 2023 at 14:10 #

    Non seulement les taxis et les bus n’ont plus leur place devant la gare….mais aussi les familles des enfants prêts à partir en camp. En ce premier lundi de vacances, ils attendaient aglutinés en plein soleil de l’autre côté de la place, devant l’Hotel Continental où les taxis ont aussi été déplacés dans ce maigre espace.
    Notre population est bien docile face au manque d’égard de ses édiles qui semblent plus soucieux de son divertissement ( proche de diversion) que de son bien être.

  2. Alain Gonthier 17 juillet 2023 at 09:14 #

    Très bien Christian, continue de creuser; le tracé du tunnel et la position des gares feront sûrement l‘objet d‘un prochain rapport, officiel 😅

  3. Jean-Philippe Chenaux 18 juillet 2023 at 21:33 #

    L’échec de Swissmetro a été traumatisant non seulement pour Nieth, mais aussi pour Pierre Weiss, alors secrétaire du conseil d’administration, qui avait investi toutes ses forces dans ce projet. Des contacts avaient été pris avec le groupe allemand Daimler-Benz, qui était entré au conseil d’administration de Swissmetro, ce qui – disait-on à l’époque – laissait bien augurer de l’avenir du transport à sustention magnétique développé par Nieth. Patatras ! Le projet s’est heurté, surtout, à l’hostilité du conseil d’administration des CFF.

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