On parle beaucoup de chocs culturels. Ils existent bel et bien. En voici quelques-uns, tels que je les ai vécus.
D’abord la découverte de l’honnêteté des Suisses ! Elles font mon admiration, ces caissettes placées un peu partout dans la ville qui offrent aux passants les journaux du jour. On pourrait facilement les voler ces journaux, il suffirait pour ça de tendre la main et de se servir. Et pourtant les lecteurs les paient sans rechigner en glissant la monnaie dans la fente prévue à cet effet.
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J’ai eu aussi d’étonnantes surprises. Au Centre d’enregistrement et de procédure de Vallorbe CEP, où nous étions en attente, il n’y avait que des carafes d’eau sur les tables – pas le thé qui termine chez nous chaque repas. Rien que de l’eau pour nous : nous avons bêtement interprété cela comme une sorte de mépris. Autre surprise : en Suisse on éternue sans se gêner en plein repas. Pas bien méchant, mais cela m’a frappé.
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Autre choc. Tandis que chez nous au Kirghizistan, se déchausser dès que l’on passe la porte d’entrée va de soi, en Suisse, en revanche, on garde ses souliers aux pieds, même poussiéreux, sinon crottés.
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J’avoue encore avoir été frappé en observant au bord du lac un père, une mère et leurs enfants en train de jeter du pain aux cygnes. Ce pain, rassis ou sec, ils le brisaient avant de le lancer aux grands oiseaux blancs qui battaient des ailes en se précipitant. Soudain, j’ai vu le père piétiner un pain entier et j’en fus choqué. Jamais cela ne se serait passé chez nous, où le pain est sacré. Il ne s’agit pas ici de religion mais d’un respect pour les victimes des grandes famines dont beaucoup murmuraient en agonisant: « du pain, du pain, par pitié ! »
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Autre surprise et non des moindres. La réponse d’un passant à qui je faisais la remarque que sur les quais de Genève fleurissaient décidément beaucoup de jolies filles. « Et beaucoup de beaux garçons », a-t-il ajouté en riant. C’est ainsi que j’appris que les toilettes publiques sont des lieux de rendez-vous pour les hommes qui aiment les hommes. J’étais estomaqué.
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Je cherchai à mon arrivée à Genève des lieux qui chez nous au Kirghizistan font notre quotidien : les bains russes où l’on sue dans la vapeur tout en se flagellant avec des branches de chêne. Je finis par en trouver un situé au bord du lac, aux Bains des Pâquis, plus précisément. Or, ces bains étaient mixtes. Des femmes nues ! Elles avaient l’air tout à fait à l’aise. Moi, il m’a fallu du temps pour m’y habituer.
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Cette chronique contient des nouvelles, aphorismes, histoires vraies et autres récits écrits en kirghize entre l’âge de 15 et 35 ans sous la forme d’un journal par le journaliste et écrivain Zhenishbek Edigeev. Un premier tome des “Cahiers bleus” a été publié en 2022.